Par un après-midi pluvieux et en visioconférence. C’est dans ce triste contexte que nous avons rencontré Peggy Fol, directrice du Cinéma bruxellois Le Vendôme dont les portes se sont fermées à nouveau dimanche soir. En pleine réflexion face à un avenir incertain, mais tout de même avec le sourire, elle nous parle de son cinéma, avec qui elle vit depuis près de soixante ans.
Découvrez la version audio ci-dessous, ou l’interview écrite juste après !
Propos recueillis par Kévin Giraud
Vous êtes la directrice programmatrice du cinéma Le Vendôme, pouvez-vous nous raconter la création de celui-ci ?
Le Vendôme a été créé par mon père Henry Fol, il y a plus de 65 ans. J’ai toujours vécu dans le milieu du cinéma, j’ai rejoint l’équipe du Vendôme à mes 18 ans et ne l’ait plus quitté depuis. C’est un cinéma de famille, innovant, mon père fut d’ailleurs le premier à inventer le concept de multiplexe en coupant une salle en deux, fin des années 70. C’était un homme très créatif qui venait de la distribution à l’origine. À l’apogée, nous avions trois complexes en ville, que nous avons dû fermer petit à petit. Seul le Vendôme a survécu sur l’avenue Louise où nous avions un complexe de quatre salles, jusqu’en 1991 où il a dû fermer à cause de l’inflation des loyers. Heureusement, nous avons trouvé rapidement un nouveau lieu, notre emplacement actuel chaussée de Wavre, qui s’est ensuite agrandi de deux salles supplémentaires avec l’ajout des salles de l’ancien Pathé-Empire, situé chaussée d’Ixelles.
Vous êtes vraiment née dans une salle de cinéma !
Tout à fait ! J’ai commencé toute petite, j’ai pris de l’assurance avec le temps, et me voici plus ancienne exploitante de Bruxelles, si pas de Belgique ! Et je suis très fière de mon Vendôme, un cinéma pas comme les autres.
Et justement, qu’est-ce qui fait l’ADN du Vendôme aujourd’hui?
On a toujours été dans l’Art et Essai, à la recherche de films différents. Nous avons accueilli et fait connaître des tas de metteurs en scène, qui à chaque fois en sortaient grandis… pour aller rejoindre d’autres salles ! En tout cas, on sélectionne vraiment les films qu’on montre. Dans notre programmation, je vois à peu près 95% des films qui passent, et je crois qu’on a un jugement et une sélection qui plaît et qui attire nos spectateurs.
Vous définissez le Vendôme comme Galerie d’Art cinématographique, qu’est-ce que cette appellation signifie pour vous?
Tous les films que l’on choisit et que l’on montre sont des bijoux, comme des tableaux pour nous. Ce ne sont pas des films « jetés » en salle sans qu’on les accompagne, notre programmation se décide en pleine âme et conscience. On est toujours dans l’idée de plaire à notre public, tout en montrant des films un peu différents, qui les feront réfléchir.
À vos côtés, comment se compose l’équipe du Vendôme ?
C’est une vraie affaire de famille ! Ma fille m’accompagne et reprend le flambeau, mon neveu travaille également avec nous dans les bureaux. Et puis nous avons bien sûr toute une équipe de caissiers, d’accueillants et d’opérateurs avec qui nous travaillons main dans la main depuis des années, le tout dans une gestion familiale du cinéma.
Vous qui avez grandi avec ce cinéma, quel est votre meilleur souvenir du Vendôme ?
Sans doute l’ouverture des nouvelles salles du Multi-cinéma Vendôme [en 1977, NDLR] ! On passait de deux à quatre salles et pour l’inauguration nous avons accueilli Sophia Loren comme marraine de l’événement, c’était énorme ! Une vraie fierté d’avoir avec nous cette dame d’une simplicité étonnante en compagnie d’Ettore Scola, pour la sortie d’Une journée particulière, un beau moment. Bien sûr, j’ai aussi des tas d’autres rencontres avec des réalisateurs qui m’ont marquée, mais ce moment-là reste unique.

Lors du premier confinement, avez-vous réussi à garder le contact avec votre public ?
À la première fermeture, nous avons fait un appel auprès des spectateurs et mis en vente une carte-soutien qui a très bien fonctionné sur le moment. Par contre, on se rend compte qu’à peine la moitié des acheteurs sont venus récupérer leurs cartes pendant la période de réouverture, et ça va être difficile de les atteindre à nouveau. Peut-être en faisant des événements, comme La nuit du cinéma d’auteur, etc? Cette deuxième fermeture nous est tombée dessus tellement vite…
Et du côté des distributeurs, vous avez réussi à travailler ensemble pour gérer la situation actuelle ?
Pas du tout ! Les distributeurs ont été pris de court comme nous. Ils ont dû décider d’un coup s’ils sortaient ou non les films, et maintenant de nombreux films sont décalés à décembre, sans savoir si on sera ouverts ou non… C’est une valse des sorties, autant dans l’art et essai que dans les gros complexes, personne n’est épargné. On est tous face au même inconnu.
Face à cette seconde fermeture, comment pouvons-nous vous soutenir en tant que spectateurs, journalistes, cinéphiles?
Au-delà de l’achat des cartes, important financièrement bien sûr, c’est le soutien moral qu’on a eu au printemps qui était vraiment salvateur ! Nous avons reçu plein de petits mots d’encouragement, de soutien, c’était vraiment très agréable, très motivant pour nous. Là, cette deuxième fermeture, c’est un coup dur. On a donné beaucoup pendant les trois premiers mois, maintenant c’est plus difficile. On va se remettre du choc doucement, et penser à ce qu’on va mettre en place dans les jours à venir…