Propos recueillis par Kévin Giraud
Au cœur d’un centre-ville en pleine redynamisation, le Quai10 s’affiche fièrement depuis 2017 comme une des institutions phares de la culture en bassin carolo. Nous avons eu la chance d’échanger avec Matthieu Bakolas, son directeur. Porteur avec son équipe d’un projet aux multiples visages, il nous parle de ce lieu devenu incontournable, au-delà d’un simple cinéma.
Matthieu Bakolas enchanté, vous êtes le directeur du Quai10, est-ce que vous pouvez nous raconter l’histoire du projet ?
Cela fait quatre ans que le projet a été lancé dans la suite du cinéma Le Parc, un cinéma mono-salle d’Art et essai qui existe depuis déjà vingt-cinq ans. Nous voulions étoffer ce projet en ouvrant un second lieu, avec quatre salles côté Quai. La spécificité du Quai10 est d’être un lieu double. Le cinéma est notre core business, mais nous avons également tout un volet de nos activités dédié au jeu vidéo. Autour de ces deux médias, nous organisons des rencontres, des animations, et nous mettons en avant aussi bien le jeu vidéo indépendant que le cinéma indépendant, du jeu belge, du jeu européen, exactement comme nous le faisons sur le cinéma. Par ailleurs, nous accueillons une brasserie ouverte 7 jours sur 7, et d’autres structures actives dans les ICC (Industries culturelles et créatives) au sein du hub Créatif de Charleroi, incubateur de projets à vocation culturelle et créative. Enfin, le Quai10 est également fier d’accueillir les Dirty Monitor, une société carolorégienne spécialisée dans le mapping, de renommée mondiale aujourd’hui.
Comment définissez-vous la programmation de votre cinéma?
Celle-ci se construit essentiellement autour de films d’auteurs ou d’art et essai, même si ces termes peuvent parfois être mal perçus. En tout cas, c’est une programmation mûrement réfléchie. Nous sommes subventionnés par la Fédération Wallonie-Bruxelles, et plus de 75% de nos séances sont reconnues comme « Art & essai ». Au-delà de ça, nous travaillons également sur le segment familial, notre deuxième cible après les cinéphiles. On organise de nombreuses séances jeunes publics, notamment avec Le Parc Distribution, et aussi des Disney, des Pixar. Notre but est d’ouvrir l’esprit de nos publics et de les inviter à découvrir d’autres cinémas, en travaillant la porosité entre nos différentes propositions pour faire glisser petit à petit cette cible familiale vers le public cinéphile, et brasser les deux publics. C’est une des missions que nous nous sommes donnés en tout cas.
Votre travail avec le jeu vidéo vient aussi de cette envie de toucher différents publics et de favoriser la porosité entre les médias ?
Tout à fait, c’est une vraie dimension du projet. On touche avec le jeu vidéo une cible qui est difficilement atteignable dans les cinémas, les 12-18 ans. Ce n’est pas évident et on a pas une foule de jeunes tous les jours à nos portes simplement parce qu’on a un espace jeu vidéo, c’est un travail de fond qui prend du temps mais cela nous permet d’avoir une transversalité dans certaines de nos propositions. Sur nos festivals, sur nos événements, nous pouvons ainsi décliner un thème au travers des deux médias, ce qui apporte une vraie plus-value. À côté de ces liaisons que nous pouvons mettre en place, l’objectif est aussi de montrer qu’il y a tout un pan de la production vidéoludique inconnu ou mal connu du public. Au Quai10 vous verrez de temps en temps un jeu triple A, l’équivalent d’un blockbuster, mais vous aurez la plupart du temps des jeux indépendants, des jeux belges, des productions étudiante. Toujours dans le but de montrer la diversité des contenus et de faire un vrai travail de médiation culturelle, comme on le fait avec le cinéma.

Le Quai10, c’est aussi un espace pédagogique, comment vous intégrez-vous dans l’offre présente à Charleroi et que proposez-vous ?
Du côté du cinéma, c’est bien sûr une grosse part de notre activité. Nous sommes partenaires depuis longtemps avec Ecran large sur tableau noir qui fonctionne très bien dans nos salles. En 2019, nous réalisions 93.000 entrées dont 18.000 scolaires, donc une belle tranche de notre public. De notre côté, on tente de développer cette offre également sur le volet vidéoludique, avec des animations thématiques autour du jeu vidéo et avec le jeu vidéo, en créant des ateliers autour des savoir faire, des savoir être, des savoirs en général. On a mis en place des séances autour de la discrimination, sur l’esprit de collaboration, ou même sur la philosophie et le jeu vidéo, pour des étudiants à partir de 10 ans jusqu’aux universitaires. L’idée n’est pas de faire du serious gaming, on est bien dans du jeu pur, mais avec une réflexion en amont et en aval de la séance. Avec cette approche, on maintient la dimension ludique du jeu, tout en permettant aux enfants d’identifier les compétences qu’ils ont mis en oeuvre au cours du jeu.
Avez-vous un meilleur souvenir ou un moment qui vous a marqué durant ces dernières années au Quai10?
Notre inauguration en 2017 a été un moment très fort, avec une richesse et une concentration de contenus impressionnante. Bien sûr, nous avions mis les moyens nécessaires et l’ambition de cette programmation n’est pas quelque chose que l’on peut reproduire souvent, mais c’est un souvenir fabuleux. C’était une vraie fourmilière, nous avons eu plus de 10.000 personne sur un weekend avec une programmation riche de plus de 100 éléments différents. Cela reste un souvenir merveilleux, nous avions réussi à trouver l’équilibre qui nous tient le plus à coeur : une vraie qualité des contenus tout en restant accessible, et c’est vraiment cela l’ADN du Quai10. Si je dois penser à un autre moment fort, en 2019 nous avons programmé un mois thématique sur l’intelligence artificielle décliné à travers le cinéma, des conférences et le jeu vidéo, et là aussi en terme de contenu nous avons été très loin. Notre soirée inaugurale était parrainée par l’UNESCO, avec des invités scientifiques internationaux, et un vrai équilibre entre la qualité et la vulgarisation des contenus, qui a su toucher tous nos publics.
Face aux événements récents, comment avez-vous pu garder contact avec votre public ?
Pour le premier confinement, cela s’est fait principalement via nos réseaux sociaux, nos newsletters et notre site web, où l’on a continué à prendre la parole malgré la fermeture. Sans attendre que les aides fédérales arrivent, nous avons lancé différentes initiatives dont la première campagne d’abonnement solidaire en Belgique francophone. Cinq places pour 30€, non-nominatives et sans limite de temps, à valoir dès la réouverture. L’idée à la base était juste de garder le lien, et finalement ça s’est transformé en vrai élan de solidarité, nous en avons vendu plus de 800 ! C’était important pour nous d’un point de vue moral, et c’est devenu non-anecdotique sur le plan financier ! Grâce à cela, nous avons eu une réserve pour la réouverture qui nous a bien servi. Par ailleurs, nous avons également participé à la mise en ligne de films avec le distributeur. Cela différait un peu de notre programmation habituelle, mais la solution était efficace, pragmatique et clé-sur-porte, ce qui n’était pas négligeable durant cette période difficile. Au vu de ce deuxième confinement, c’est quelque chose que nous allons tenter de reproduire. Dans la liste des projets, nous allons aussi essayer d’organiser des séances en live avec Europa Cinemas autour du cinéma européen. Et pour les fêtes de fin d’année, on sensibilisera de nouveau notre public à nos abonnements toujours disponibles à l’achat. On essaie de ne pas être attentiste, et d’aller vers des choses simples à la fois pour notre public, mais aussi pour rester en accord avec nos moyens. L’abonnement, c’est simple, c’est local, ça nous ressemble. Pour nous soutenir, faire plaisir, et garantir un retour au cinéma dès la réouverture, cela reste la meilleure chose que l’on puisse offrir à notre public.
L’entrevue est également disponible sous format podcast! N’hésitez pas à la consulter ici: