Rencontre avec deux des personnalités les plus marquantes du cinéma latino
C’est par un beau jour de novembre que nous avons rencontré à l’ambassade du Chili à Paris Pablo Larraín et Gael García Bernal, respectivement réalisateur et comédien de NERUDA, le représentant du Chili aux Oscars. Les deux hommes se retrouvent à nouveau après avoir déjà travaillés ensemble sur NO. C’est dans une pièce où le vrai Neruda a travaillé (il fut un temps ambassadeur du Chili en France) que l’interview s’est déroulée ce qui, inévitablement, donna une touche particulière à cet entretien. La première fois que nous avions rencontré Pablo Larraín, en octobre 2015 à Gand à l’occasion de la sortie d’EL CLUB, il ne nous avait pas laissé un souvenir des plus agréables. Qu’allait-il en être cette fois qu’il était en duo avec l’acteur mexicain ?
Dès le début, Larraín semble être détendu tandis que Gael García Bernal est très souriant. C’est bon signe. Neruda est l’un des trois films que Larraín a réalisé en un an et demi ce qui est court comme temps. Les deux autres étaient El Club qui était à la Berlinale 2015 et Jackie qui fut présenté à peine trois mois après Neruda à Venise et Toronto. Quand on lui fait remarquer que c’est impressionnant il répond « Impressionnant par rapport à qui ? Raoul Ruiz ? » (Réalisateur franco-chilien qui, à une époque, réalisait jusqu’à 4 films par an NDLR). « Je pense que c’est une question de style et de travail. C’est un long processus. Neruda a été repoussé pour diverses raisons puis j’ai commencé El Club et, après, Darren Aronofsky m’a offert Jackie. » Et le résultat est sans appel, autant pour Neruda que Jackie. Alors que beaucoup de réalisateurs ont du mal à réaliser un bon biopic car ils tombent facilement dans ses travers, Larraín a réussi le pari d’en faire deux de grande qualité. Quand on lui demande comment il a fait, le chilien répond : « En travaillant très dur monsieur. » « Et en dormant peu » enchaîne Gael García Bernal. Larraín explique que son approche est assez simple. Pour lui, ce n’est pas tant une question d’angle plutôt qu’une question de trouver l’essence et, surtout, ne pas penser qu’on va en faire le portrait parfait. « Il faut admettre que tu ne pourras jamais capturer la personne. Tout ce que tu peux faire, c’est danser avec. Tu peux t’en approcher mais jamais la capturer. »
Pour le réalisateur de No, Neruda est donc un film sur le « cosmos nérudien » mais aussi un déclaration d’amour au cinéma vu qu’il combine des éléments venus d’horizons divers. « On trouve des aspects de films des années 40-50, un jeu de chat et de souris, des éléments de films noirs, de l’humour et c’est aussi un road movie western existentialiste avec des personnages archétypes. » Rien que ça ! Ce mélange de genres n’a jamais posé de problème à Gael García Bernal pour développer son jeu, que du contraire. « C’était intéressant de jouer le policier qui prend son travail très au sérieux et se donne beaucoup d’importance. Et il ne fallait pas juste le jouer mais aussi le dire comme « ça va être très excitant ». ça donne un aspect intéressant au personnage. Le contraste entre le côté flic sérieux et l’aspect comique est chouette à jouer. » Effectivement, le mélange de ton est l’une des spécificités du film. C’est même l’un des éléments qui lui donne beaucoup de cachet. Pour arriver à ce résultat là, le chemin fut laborieux. « C’est un processus très lent. On a beaucoup travaillé en amont, sur le script bien sûr mais on a surtout beaucoup observé la vie de Neruda. Là, on est assis dans une salle où il travaillait. Il a été ambassadeur du Chili pendant les années d’Allende. Quand il a reçu le prix Nobel, il a fait une conférence de presse dans cette même pièce. Neruda était obsédé par la cuisine, par le vin, la diplomatie. Il voyageait beaucoup. Il rassemblait beaucoup de choses, était un expert en littérature. Il était sénateur, politicien. On ne peut pas le mettre dans une boite et dire, « Voici ce qu’était Neruda ». Ce n’est pas le film qu’il faut. Ici, on veut simplement se rapprocher de son cosmos, son abstraction. » explique Larraín.
Pour l’acteur mexicain, le tournage fut un régal parce que « ce n’est pas un genre établi. C’est beaucoup de choses en même temps. C’est bien de ne pas savoir y mettre un nom, une étiquette. ça va de paire avec le côté poétique. On pourrait y donner un sens unique mais, ça peut être intentionnel, le film est bien plus ambitieux et transversal que ça. » Son personnage, c’est le détective de l’histoire, celui qui pourchasse Pablo Neruda en vue de l’arrêter : Oscar Peluchonneau. Avec son air atypique, il va donner une certaine chaleur au film, totalement à l’opposé de Neruda. Evidemment, cette dualité est l’une des forces du film. « C’était une joie de jouer Peluchonneau parce que ce n’est pas comme jouer un personnage de film d’action dans lequel tu vas de gauche à droite. Il y a plus de complexité. En plus on a pris beaucoup de plaisir sur le plateau. Tout ce qu’on faisait était fou. La façon de descendre de la moto, c’est une des choses particulièrement prenantes. Ca n’a l’air de rien mais c’est quelque chose de particulier qui sort de l’ordinaire et c’est plaisant à jouer. »
Bernal est moins connu pour cela et beaucoup de monde l’ignore probablement mais, il est également réalisateur. Forcément, on a voulu savoir s’il s’inspirait et comment il s’inspirait des réalisateurs pour lesquels il tourne. La réponse fut, sans surprise, oui. « Il y a tant de manières différentes de faire les choses. Pablo m’inspire de beaucoup de façons : sa manière d’être sur le plateau, d’interagir avec son équipe,… Avec lui, les acteurs ont parfois le sentiment de ne pas savoir où la caméra se trouve, ce qui peut être une bonne chose. A la fin de la journée, je pense aux gens que j’admire. Et pas seulement penser à eux mais aussi penser à leur façon de faire. » A ce moment là, le mexicain indique qu’il lui arrive souvent d’imiter les réalisateurs. Et Larraín de faire remarquer qu’il imite souvent Alejandro Gonzalez Iñarritu avec qui Bernal a tourné Amours chiennes et Babel. On espère pour lui que ça l’aide. C’est sur ce moment léger que l’entretien s’est clôturé. Ce fut un plaisir de revoir un Pablo Larraín plus détendu et agréable que l’autre fois bien qu’on sente que les interviews n’étaient pas son exercice préféré. Gael García Bernal fut encore plus charmant, un plaisir en interview.
Merci à Tinne Bral, Imagine Distribution, Emmanuelle Zinggeler et Magali Donati pour avoir permis à cet entretien d’être réalisé.