Son premier film KEEPER avait glâné quelques prix. Si le film n’était pas exempt de tous reproches, c’était un premier film. Parfois maladroit, il contenait tout de même de plusieurs bons éléments qui laissaient augurer un futur intéressant pour son réalisateur Guillaume Senez. Le voici qui revient avec NOS BATAILLES, un film de famille poignant et très fort. C’est quelques jours avant la première mondiale du film à Cannes en mai dernier que nous avons rencontré Guillaume Senez afin de discuter de tout cela avec lui.
Qu’avez-vous retiré de cette première expérience qu’était KEEPER ?
Ça a été incroyable KEEPER. On n’a pas été pris à Cannes mais on était dans les shorlists de toutes les sélections. On a été pris à Locarno et encore, Venise était intéressé. On a enchainé avec Toronto, le Grand Prix à Angers. C’était au-delà de toute expérience. Je pensais juste faire un film, 3-4 festivals et c’est très bien comme ça. Ici, je me suis demandé comment faire aussi bien. Je pense qu’on fera d’ailleurs moins de festivals avec NOS BATAILLES. Le but c’est de continuer de faire des films. Je crois qu’il me le permettra. Le succès, c’est relatif. Il y a le succès en salles, le succès critique, le succès en festivals, la reconnaissance par ses pairs. Parfois le succès ne suit pas mais on a une reconnaissance professionnelle,… Si on en a une professionnelle ou critique ou publique, tu peux continuer à faire des films. C’est très dur de faire un premier film. J’ai mis 6 ans à le faire. C’est encore plus dur de faire le deuxième. Il se trouve que j’ai été vite parce que j’avais commencé à écrire avant le tournage de KEEPER. Le troisième, c’est encore plus compliqué. Réussir à faire des films, c’est le plus important. Rester dans la continuité.
Le thème de la paternité que vous aviez commencé à explorer avec KEEPER est poursuivi ici. C’est quelque chose qui vous nourrit toujours dans l’écriture et vous nourrira encore pensez-vous ? Bien que ce ne soit plus le même style de paternité.
Je ne sais pas. Vous avez tout à fait raison et, effectivement, je n’ai pas encore fait le tour sur la paternité. J’avais besoin de parler de quelqu’un plus de mon âge, de ce que c’était. Je me suis séparé de la mère de mes enfants il y a cinq ans, je me suis posé plein de questions. Que se passerait-il si je me retrouvais seul avec eux ? J’étais en train de monter KEEPER. J’étais dans une situation financièrement très précaire. Si la mère de mes enfants n’avait pas été là, si on ne s’était pas accordé sur une garde alternée, je n’aurais jamais réussi à faire ce film. Tout est né de là et j’avais encore des choses à dire à ce sujet. Après, je ne pense pas que je vais faire une espèce de ligne éditoriale autour de ça. Pour l’instant, dans le prochain, il n’y en a pas mais, on verra bien, peut-être que ça va arriver. Parfois, les thèmes arrivent après. Les sujets pas mais les thèmes oui.
Justement, d’un point de vue thématique, est-ce que le film a beaucoup évolué entre le scénario à la base et le résultat final ?
Pas tellement mais un petit peu quand même. Je pense que le film est meilleur que le scénario mais ça c’est l’objectif à chaque fois. Je pense que c’était le cas sur KEEPER aussi. Si ce n’est pas le cas, il faut se poser des questions en terme de mise en scène. On a quand même un peu réécrit au montage. Il y avait plus d’allers-retours boulot/maison dans le scénario, il y en a moins dans le film. On a aussi beaucoup travaillé sur la présence de Laura (la mère qui abandonne donc ses enfants NDLR). On marchait sur un fil. Il faut la montrer fragile mais pas trop non plus tout en la montrant suffisamment pour qu’on comprenne qu’elle n’est pas épanouie, il faut la montrer aimante de ses enfants, d’Olivier,… Il fallait trouver le juste équilibre et ce fut difficile. La tension c’était de ne pas condamner le personnage de Laura. C’est très difficile de ne pas condamner une mère qui abandonne ses enfants. C’était donc l’un des objectifs du film. Je voulais travailler sur cette liberté de la femme. Dans le cinéma, quand une femme abandonne ses enfants, c’est soit parce qu’elle est morte, soit parce qu’elle est en prison. Un homme qui le fait, on peut en parler, il n’y a pas de problème, c’est pas la fin du monde. Une femme qui abandonne ses deux enfants, tout de suite, c’est tabou, c’est dégueulasse. Je voulais absolument montrer ça et il ne fallait pas la condamner. Il fallait la montrer aimante, il fallait qu’Olivier continue à l’aimer, que ses enfants continuent à l’aimer, qu’on comprenne pourquoi elle était partie. Ça c’était un des vrais enjeux du film. Cet équilibre là, au montage, on a un peu chipoté et je pense qu’on a trouvé le bon équilibre.
Le personnage de Laura disparait assez rapidement et pourtant elle reste présente pendant tout le film. Avez-vous dû trouver des astuces afin de permettre cela ?
Non, c’était déjà dans le scénario. On voulait la faire exister dans l’absence. En vrai, c’était assez simple parce que, forcément, pour les enfants on en parle tout le temps. C’était assez facile mais c’était une vraie volonté de continuer à la faire exister dans l’absence, c’est certain.
Avez-vous eu une difficulté particulière au niveau de l’écriture ? L’histoire de la mère est la base mais le titre c’est bien NOS BATAILLES et pas MA BATAILLE. Il y a d’autres arcs qui viennent se greffer.
Il y a d’autres arcs, la partie du travail et ses répercussions dans la sphère familiale. Il est là en filigrane pour montrer ce monde qui bouffe de plus en plus de place. J’ai eu la chance de travailler avec Raphaëlle Desplechin qui est formidable et on a très vite rêvé du même film. On avait envie de parler de ce personnage qui avait des valeurs, des idéaux. Ça va être de plus en plus difficile pour lui de les faire valoir après le départ de sa femme. A partir du moment où c’était posé, on a rêvé du même film et ça a été très simple au niveau de l’écriture. Ce fut une belle rencontre avec Raphaëlle.
Comment était-ce de travailler avec les comédiens parce que, si je ne me trompe pas, vous ne leur donnez pas le scénario ?
Ils ne reçoivent pas les dialogues. Ils reçoivent une espèce de traitement d’une trentaine de pages. Ils savent ce qu’il se passe mais n’ont pas connaissance des dialogues.
Forcément, et on le sent, le résultat est très spontané, naturel.
C’est très spontané et c’est ce que je recherche. J’ai besoin de cette spontanéité là pour qu’on croit au personnage, qu’on croit en ce qui se passe. J’en peux plus des films où c’est construit de la même façon, le même schéma narratif, la même façon de filmer, le même champs-contre-champs, tu donnes ta réplique, le suivant fait pareil,… Je n’y crois plus. J’ai besoin de croire en ce qu’il se passe pour être ému. Comme je tends vers l’émotion, j’ai besoin de ça. Ce qui me plait là-dedans, c’est qu’on travaille ensemble. Ce n’est pas le réalisateur qui débarque et impose sa vision des choses. Il y a plus dans deux têtes que dans une au niveau du scénario et pareil au tournage, on discute avec les techniciens, les comédiens, le perchman,… Ensemble on construit le film. On sait où on va, l’équipe technique a le scénario, les comédiens ont le traitement et on bosse ensemble. On ne sait pas comment on y va mais on cherche ensemble.
On a une séquence, on a un maximum de liberté. Les comédiens arrivent sur le plateau et je leur dis qu’entre tel endroit et tel endroit, ils font ce qu’ils veulent. Il y a un minimum de contraintes possibles pour eux ce qui veut dire qu’il y a un maximum de contraintes pour l’équipe technique. Il faut le savoir, ce n’est pas gagner du temps ce qu’on fait. Ensuite, on fait une première improvisation parce qu’ils connaissent la séquence, qu’on tourne en plan-séquence, parce qu’ils connaissent l’histoire, ils savent ce qu’il se passe avant, après. On parle des intentions de la scène, c’est le plus important. On fait la première impro, qu’on filme parce qu’on ne sait jamais ce qui peut jaillir, un sourire ou un accident comme c’est arrivé une fois ou deux. Les trois ou quatre premières prises, ce sont un peu des répétitions. Cela sert aussi à voir si cela fonctionne d’un point de vue technique, du placement,… On réfléchit à sa physionomie en fait, on se rode. Les mouvements sont clairs, les positions, la perche,… Petit à petit, on arrive au texte, sans que je leur donne. Parfois je dois leur donner un mot ou une phrase dont j’ai absolument besoin. Mais en gros je les accompagne vers ce qui est écrit. Au final, et c’était déjà le cas sur KEEPER, il y a peu de différences entre ce qui est écrit et ce qui est tourné mais il y a ce côté spontané avec ces moments qui jaillissent, sont touchants et me plaisent.
Globalement, comment réagissent votre équipe et vos comédiens à cette façon de travailler ?
Je ne peux pas travailler dans le conflit, j’ai besoin d’être à l’aise avec mes techniciens. Pour la plupart, je travaille avec depuis des années. Après il y a beaucoup de contraintes, c’est compliqué mais, en même temps, ils sont excités parce que c’est un challenge. Ils sont contents du film qu’on fait parce qu’on rêve tous du même film. Ils avaient vu KEEPER et s’avaient qu’on était dans la même veine, qu’on était dans un cinéma naturaliste avec un travail de mise en scène derrière. Il y a un gros travail sur les couleurs, il y a un gros travail sur le cadre,… Ils savent où on va et ça leur plait. Donc ça marche.
Avez-vous senti une évolution dans votre travail par rapport à KEEPER ?
C’est une expérience. Il y a des choses que j’ai vécues où je me suis dit « ah ça ne marche pas » ou le contraire. Il y a plus d’expérience, c’est sûr. Je donne des cours de direction d’acteurs, des stages, avec Catherine Salée donc tout ça aide. J’ai peut-être plus d’expérience pour débloquer une situation qui ne fonctionne pas ou au contraire dire « ah ben tiens, c’est super mais essayons autre chose ». Je suis plus mature donc on peaufine la méthodologie mais elle est la même que sur KEEPER et mes courts-métrages.
Au niveau des personnages, cela vous arrive-t-il d’écrire en pensant à des acteurs ?
Je ne le fais jamais parce qu’au casting j’aime être surpris par autre chose, repenser autre chose. Je mens un petit peu parce que sur NOS BATAILLES il y avait un personnage, celui de Betty, où j’ai écrit en pensant à Laetitia Dosch parce qu’on se connaît et qu’elle était déjà dans KEEPER. Pour le reste, quand le scénario est fini, je me pose et réfléchis à ce que j’ai. Romain Duris est arrivé tout de suite mais c’était après coup. On avait un séquencier et on s’est mis à réfléchir. Il a très vite accepté, avant même la première version terminée du scénario. Comme je ne leur donne pas les dialogues ça n’a pas changé grand chose mais soit. Il s’est très vite positionné sur le film. Laure Calamy et Lucie Debay ont vite suivi aussi. Dès qu’on a Romain Duris, on essaie de créer une famille autour de lui, c’est lui qui porte le film. Il est quasiment de toutes les séquences.
J’ai toujours aimé son travail, il aime se mettre en danger, proposer des choses différentes. Ça me plait énormément. Comme il est talentueux et professionnel, c’est génial. Laure Calamy, les films qu’elle a fait m’ont parlé. Je me suis dit que c’était une comédienne de ma famille et qu’il fallait que je tourne avec elle donc ça s’est fait naturellement, comme quand j’avais vu Laetitia Dosch dans LA BATAILLE DE SOLFERINO. Tout de suite je sens la spontanéité donc j’ai besoin et que je cherche. Ça se fait très facilement.
C’est plutôt gratifiant d’avoir les comédiens qu’on espère dans les rôles qu’on veut.
Oui, il n’y a pas eu de refus. Parfois pour les petits rôles mais c’est plutôt pour des raisons de planning. Quand il faut faire rentrer le planning de Romain Duris, Laetitia Dosch, Laure Calamy, Dominique Valadié et Lucie Debay, les autres rôles doivent s’adapter et si t’es pas dispo, on doit prendre quelqu’un d’autre malheureusement. Sinon j’ai eu de la chance. Après, on a bien préparé la chose. Romain est arrivé très très tôt donc a très vite booké les choses. J’avais un excellent assistant réalisateur. Ce fut un calvaire pour lui mais on a réussi à tout faire rentrer. Parfois c’était ridicule, certains venaient pour une journée mais c’est comme ça.
Un aspect que j’ai beaucoup aimé, c’est l’utilisation de la musique. Il y en a quatre fois je pense. Comment ce sont fait ces choix ? Le choix de LCD Soundsystem au début film alors qu’il se passe peu de choses fonctionne super bien par exemple.
Il ne faut pas se leurrer, au cinéma, la musique apporte énormément. C’est simple. Quand j’écris, j’ai des playlists. J’ai une playlist pour KEEPER, j’en ai une pour NOS BATAILLES et pour d’autres projets. J’ai des musiques qui m’inspirent pour écrire ou des musiques où je me dis qu’elle pourrait être dans le film à tel moment ou que ça pourrait être dans la diégèse du film. C’était le cas de Michel Berger évidemment, LCD Soundsystem (Oh Baby NDLR) aussi. Ce n’était pas le cas de The Blaze parce que c’est plus récent. Il était sorti il y a trois semaines et on l’a chopé parce que j’aimais beaucoup le nouveau morceau (Heaven NDLR). Je ne suis jamais à l’aise de mettre de la musique dans les films. J’adore ça mais je n’y arrive pas. Je me pose des questions. A quel moment on trompe le spectateur ? Si on ajoute une musique pour sublimer une scène, à quel moment cela veut-il dire que la scène n’est pas réussie et qu’il faut quelque chose pour l’amener ? Il y a énormément de chansons qui ont un potentiel émotionnel, c’est le cas du Paradis Blanc. A quel moment on triche sur ce qu’on fait ? C’est très compliqué. En même temps, le début et la fin, il y a une ouverture et une fermeture, un côté électro qui se tient, on peut y aller. Ça c’est assumé et on y va. Michel Berger c’était il y a longtemps. Deux ans avant le tournage, je savais que c’était ça que je voulais, il fallait quelque chose d’émotionnellement chargé et populaire forcément parce que tout le monde la connaît. Même ceux qui détestent Michel Berger. La chance qu’on avait c’était qu’elle avait ce petit côté nostalgique que j’aimais bien. C’est le genre de chanson qui peut passer à la radio à 1h du matin et on finit par danser dessus. J’aimais bien cette idée là. C’est de se dire qu’à un moment on n’arrive plus à parler, on n’a plus rien à dire et ben on danse et ça fait du bien. D’où l’idée d’une chanson populaire et le choix de Michel Berger. C’est la seule qui est diégétique. Il y a aussi un bout de Mud Flow qu’on a mis avant pour montrer qu’il n’y a pas soudainement cette chanson qui arrive mais pareil, c’est une chanson de fin de soirée. A part ça, il n’y a pas de musique. On aurait pu sortir les violons quand Olivier part à Calais et d’autres moments. Mais ce ne sont pas les moments clés dramatiques. Ce n’est pas comme ça qu’on a travaillé le film, on voulait que ça soit brut.
Avez-vous le sentiment qu’avec ce film vous avez franchi une nouvelle étape, un niveau supérieur ?
Oui mais je ne sais pas pourquoi. La méthode est la même, je ne sais pas à quoi ça tient. Cela vient peut-être du scénario qu’on a plus travaillé. Sur KEEPER on tendait vers une espèce de climax émotionnel avec le déchirement de la fin. C’était quelque chose de plus narrativement classique. Ici je tends toujours vers une émotion, je ne le cache pas, c’est vers ça que je tends parce que j’estime que l’émotion peut amener une réflexion et cette réflexion sera beaucoup plus nourrissante que si on dit au spectateur « voici ce qui est bien, voici ce qui n’est pas bien ». Tout cela je ne le cache pas. Dramaturgiquement, on a essayé de faire quelque chose de plus complexe. D’amener des touches d’émotion plic-ploc et de ne pas tendre vers une espèce de climax, résolution finale, résolution de personnage. Il y a une résolution de personnages mais on a essayé de mettre en chacun d’eux une complexité, quelque chose de pas manichéen et non convenu. Il y a certainement plus d’évolution scénaristique. Après, est-ce que c’est ça qui fait que j’ai monté d’un niveau ou pas, je ne sais pas, c’est encore trop tôt pour le dire.