Interview de François Damiens (Ôtez-moi d’un doute)
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Interview de François Damiens (Ôtez-moi d’un doute)

par Thibault van de Werve
Publié: Dernière mise à jour le

Rencontre avec un grand comique belge

C’est à l’occasion de la promo d’Ôtez-moi d’un doute que nous avons pu rencontrer le truculent François Damiens qui, depuis une dizaine d’années maintenant, s’est constitué une solide filmographie. Ici, il tient la tête d’affiche avec sa compatriote Cécile de France, dans une comédie dramatique touchante et réussie. Notre critique complète se trouve ici

Le film traite de la recherche du père et de l’identité. Comment avez-vous abordé ces thématiques, d’autant plus que Carine Tardieu les traite dans la légèreté ?

C’était très intéressant d’aborder un sujet un peu « grave » et sérieux avec de la légèreté et de la poésie. Carine Tardieu (la réalisatrice, ndlr) a un côté aérien, elle y touche sans les toucher. J’avais vu ses deux premiers films qui traitaient de la maternité et je les avais trouvés très réussis. Elle a une façon très intéressante de placer sa caméra, moins évidente que d’autres réalisateurs. Quand j’ai lu le scénario qui traitait de la paternité, c’était mieux pour moi, je ai trouvé assez subtil ce qu’elle faisait parce qu’elle traite de ce sujet sans côté moralisateur. Ce n’était pas jugeant. Elle ne condamnait pas les personnages, il n’y a pas de bons ou de mauvais. Elle l’a effleuré et puis je pense que, quel que soit le sujet, surtout s’il est lourd de sens, grave, c’est comme dans la vie, il faut y mettre un peu d’humour, pour rendre les choses plus viables. Je trouve qu’elle a très bien réussi ça. ​Elle était très bien entourée et a écrit un scénario très abouti avec Michel Leclerc et sa femme. Je sentais que c’était précis, réglé comme du papier à lettre

La seconde question concernait la recherche d’identité. Qu’est-ce que cela évoque pour vous ?

Je pense que quand on est amené à devoir rechercher son père c’est qu’il y a un secret qui a été gardé et je pense que  c’est difficile de se construire sur là-dessus. Il faut déjà que quelqu’un le garde. Je trouve ça très prétentieux par définition de garder un secret. Qui peut dire « je vais garder un secret » ? Et puis il s’évapore aussi. Quand on a un secret aussi lourd que celui-là, il transpire dans toutes les relations. Comme un homme qui tromperait sa femme depuis des années et qui dirait « elle ne le sait pas, elle est heureuse. » Qui est-il pour dire qu’elle est heureuse ? En général, ça transpire, le film le raconte bien. Quand Anna tombe amoureuse de lui, lui a des informations qu’elle n’a pas. Ca biaise tout. En plus, dans ce cas ci, ce n’est même pas le secret du père. Quand vous avez des informations concernant votre enfant, vous ne pouvez pas les garder. Si je sais que vous roulez dans une voiture volée, je me dois de vous le dire. Ce n’est pas mon secret, c’est le vôtre.

Dans le film, il y a une belle relation avec Cecile de France. Vous la connaissiez avant ?

C’était un vrai plaisir pour moi de tourner avec elle. J’avais l’impression de la connaître depuis toujours. quand on s’est rencontré. Il n’y a pas eu cette période d’observation qu’il peut y avoir quand on démarre un film avec l’acteur ou l’actrice avec qui on va tourner, ce qui est parfois un peu plombant. C’est comme quand on va à un diner : on discute de ce que chacun fait dans la vie, où on travaille, comme on se rend au boulot, etc alors que tout le monde s’en fout de savoir s’il va bosser en train, en bagnole ou à pied. C’est souvent au dessert que ça devient intéressant, quand on se met à parler de la vraie vie. Sur un film, la même chose mais ici, il n’y a pas eu ça du tout. ​​Elle est arrivée après un mois de tournage, qui était relativement fastidieux, comme un bouquet de fleurs. Directement on s’est mis à beaucoup parler et rigoler parce qu’elle a énormément d’humour. Et comme moi j’en ai plein…(rires)

Vous dites que le tournage était fastidieux ?

C’est peut-être un grand mot. Carine a eu du mal avec moi, comme moi j’en ai eu avec elle. Humainement, j’adore mais elle fait de la pâtisserie et moi je suis saucier. Tout est super maîtrisé, calculé. Il n’y a pas un mot d’improvisation, ce n’est même pas la peine de tenter quoi que ce soit. Au même titre qu’elle décide la démarche, l’intonation, pas de mimiques. Elle dirige super bien, c’est une très grande directrice d’acteurs et on peut s’en remettre à elle complètement, on sait qu’on n’ira pas dans le mur. A côté de cela, c’est fatiguant… Fastidieux c’est peut-être un peu dur, je ne pleurais pas quand même, attention (rires). D’habitude, au début du tournage, on comprend vite comment l’autre fonctionne et puis c’est parti au bout d’un jour ou deux. Ici, ça  été difficile jusqu’à la fin.

Ce n’est pas frustrant de s’en remettre à son regard ?

Non. J’avais une totale confiance en elle. Ce qui est difficile, c’est quand on ne considère pas ou on ne respecte pas le réalisateur qui vous dit ce que vous devez faire. C’est elle la patronne. Le souci, c’est que je n’aime pas avoir de patron (rires). C’est vrai que j’avais parfois l’impression d’aller à l’école (rires).

Vous avez travaillé de manière différente avec Guy Marchand et André Wilms ? La démarche était la même dans la préparation des relations avec chacun de ces deux pères ? Gui Marchand joue celui qui vous a élevé. C’est celui que vous êtes censé connaître le plus mais c’est celui avec qui vous avez le moins tourné. Et inversement pour André Wilms. La démarque était-elle la même ?

J’étais une bonne pâte à modeler. J’allais dans le sens où Carine voulait que j’aille. En dehors de cela, je m’entendais très bien avec André Wilms. C’est un type étonnant parce qu’il a une septantaine d’années mais il a gardé ce côté juvénile. Il est en rébellion, il ne lâche rien, il compte tout. C’est comme un punk. A côté de cela, il est très tendre, rigolo, il est super élégant dans sa façon d’être ou de s’habiller… J’ai l’impression qu’il est plus jeune que moi dans sa tête. C’est vraiment une belle rencontre. On passait tout notre temps ensemble, ce n’était pas compliqué. 

Comment s’est passé le tournage avec Esteban ? C’est un personnage à l’humour très particulier…

Je suis plus drôle que lui… (rires). Ca s’est très bien passé. Au départ je l’ai un peu observé parce que je me demandais s’il était tout le temps comme ça ou pas. Quand j’ai vu qu’il était vraiment comme ça, j’ai compris. Ca aurait été énervant qu’il joue un personnage. Le soir, je l’ai vu dans deux ou trois états où on ne peut plus jouer et il continuait à être comme ça… Ca a rendu notre rencontre encore plus enrichissante parce qu’il n’y avait plus de jeu. Pendant qu’on tournait, je le trouvais très costaud sur le plateau. Et un soir, j’allume la télé et je le vois dans « Taratata » avec son groupe (Naive New Beaters NDLR) et je me suis dit « le mec est vraiment complet », il garde son flegme… (rires). ​

Dans le film, c’est Anna qui fait le premier pas… Que pensez-vous de ces rapports ? Ca vous arrange bien ?

Dans la vie aussi c’est mieux, ça évite de se prendre des râteaux (rires). Dans le film, Anna n’est pas vraiment la fille de son père, c’est plutôt comme sa femme, comme une femme qui accompagne son mari dans sa vieillesse. Elle n’a pas vraiment ce rôle de fille. Je crois qu’elle a eu plusieurs déceptions amoureuses et elle n’a plus envie de perdre son temps, elle veut tracer. Et puis, elle est un peu féministe, elle s’assume financièrement et quand un mec lui plait, elle attaque. Elle n’a pas tort cela dit, elle y va, elle fonce. Quant à moi, elle sent que je tourne autour du pot et elle ne comprend pas pourquoi forcément puisqu’elle n’a pas les informations que moi j’ai.

Votre personnage, Erwan, met sa vie professionnelle entre parenthèses pour élever sa fille. Pourriez-vous faire pareil ? Prendre de la distance par rapport au cinéma ?
 
Oui, bien sûr ! D’ailleurs, le démineur que j’ai rencontré pour le film, qui m’a un peu expliqué son métier, il a perdu sa femme. Il a arrêté les déminages en Afghanistan, Irak et toute cette partie délicate du monde pour s’occuper de sa fille. Il est revenu faire des formations par ici car il ne restait que lui malheureusement et qu’il ne voulait plus prendre de risques. Sinon oui, je pourrais le faire complètement. Je me méfie toujours des gens qui disent qu’ils préfèrent mettre leur carrière avant leurs enfants. Certains ne le disent pas mais le font… 

Depuis quelques années, vous enchaînez des rôles plus sensibles, plus délicats. Ce sont des rôles qui révèlent un peu plus qui vous êtes au fond de vous ?
 
Honnêtement, je me sens confortable ou inconfortable dans les deux univers. J’aime faire rire à partir d’une fracture. Je n’aime pas faire rire pour faire rire. Il faut partir de quelque chose de lourd pour faire rire, on ne peut pas le faire à partir de rien, ou alors c’est ça qui devient marrant mais on ne peut pas faire rire dans un film à partir de rien. Dans mon film, ma situation est lourde au départ et c’est l’humour qui vient aider à alléger la situation. Paradoxalement, on rit plus sur des tournages de films dramatiques que sur ceux de comédies. La volonté de faire rire, je trouve ça un peu dangereux. C’est comme vous dire « je vais vous cuisiner un plat raffiné ». Ce n’est pas à moi de dire si le plat est raffiné ou non.

Carine Tardieu dit qu’elle a été influencée par Claude Sautet, Gérard Oury ou Francis Veber. Vous sentez chez elle des points communs avec ces metteurs en scène là ?
 
Oui. Je trouve que ce sont des films très réglés et très précis. Ce n’est pas nous qui fabriquons l’humour, c’est elle qui l’écrit pendant le scénario, et au montage aussi. Donc je comprends tout à fait qu’elle n’ait pas envie qu’on improvise puisque tout marche à la seconde. C’est souvent le secret d’un film raté, quand chacun commence à faire sa petite sauce de son côté… C’est souvent le secret d’un film raté. C’est quand chacun fait son truc de son côté. C’est comme en cuisine, si trois personnes font chacun un flan à la suite, ça va finir par être indigeste.

Du coup, vous n’avez vraiment jamais tenté de faire d’improvisation sur le tournage ?
 
Il n’en était même pas question, non. Déjà,mettre ton verre là plutôt que là c’était de de l’impro (rires). D’ailleurs, pour tenir le coup, je rentrais chaque week-end chez moi depuis la Bretagne parce qu’il fallait prendre l’air. Carine avait bien fait les choses, ma chambre était juste à côté de la sienne… Elle ne m’a pas lâche une seule seconde.

C’est fréquent d’être étouffé de la sorte par le metteur en scène ?

Etouffé, ce n’est pas péjorativement. C’est plutôt être cadré. Je l’avais déjà été très fort par Dominik Moll pour « Des nouvelles de la planète Mars ». Par contre sur « Dikkenek », je n’avais pas été cadré du tout (rires).

Justement, quand les gens vous interpellent dans la rue, ils reviennent avec « François l’embrouille » ou Claudy de « Dikkenek » ou ils vont vers cet autre cinéma ?

En général, c’est vrai qu’ils me reconnaissent par rapport aux caméras cachées. Et puis souvent, ils ne me parlent pas du film, ils font plutôt les répliques (rires).
 
Là, vous allez vous rendre à une avant-première d’ « Otez-moi d’un doute ». Que ressentez-vous quand vous allez ainsi livrer votre film à un public qu’a priori, vous ne connaissez pas ?

Je préfère toujours aller avant le film qu’après. Je pense qu’après le film, les gens doivent rester dans leur impression. Ou bien ils n’ont pas aimé et ils ont envie de partir ou bien ils ont aimé mais, voir la personne tout de suite devant, ça peut créer une scission, couper leur imaginaire.  Je trouve que quand on est rentré dans quelque chose durant une heure et demie, on a envie d’aller boire un verre avec les personnes avec qui on a vu le film et en discuter. Alors que si on voit la personnalité directement devant nous, ça donne l’impression que c’est fini, le paquet fermé, que tout est dit. C’est comme si quelqu’un qui essayait de séduire une femme finirait par lui dire : « Tu sais comment je t’ai eu ? J’ai fait ça, je t’ai dit ça » (rires). C’est donner des clés de lecture. 
 
Le film a été très applaudi à Cannes. Cécile de France en était très émue. C’était votre cas aussi ?

Non parce que moi, j’avais déjà connu pas mal de succès avant (rires). Evidemment, j’étais très surpris. Au départ, je ne voulais pas voir le film parce que ça m’angoissait de le voir. Celui là particulièrement parce que j’y jouais sans artifice. C’est déjà très difficile d’écouter sa messagerie alors se voir pendant une heure et demie… J’avais toujours trouvé un truc pour ne pas aller le voir. Mais deux jours avant d’aller à Cannes, Carine m’a dit « on va venir chez toi pour te le montrer alors ». Au final, elle m’a organisé une projection dans un cinéma à 11h du matin, pour moi tout seul. Je suis resté cloué dans mon siège pendant une demi heure. J’étais complètement été chamboulé. Quand je suis sorti de la salle, je l’ai appelée. J’avais ri, j’avais pleuré, j’étais complètement retourné. Après ça, je n’en ai pas parlé et quand je suis arrivé à Cannes, je n’avais pas de distance par rapport à moi. A la fin de la projection, les gens se sont levés et ont applaudi pendant un quart d’heure. Alors là.
 
Quand vous vous voyez à l’écran, vous analysez ce qui ne va pas ou vous vous laissez emporter ? 

Ici, je me suis laissé emporter. Sinon, quand je regarde le film je me dis toujours que c’est le lendemain de tel évènement, ça c’est la scène après laquelle j’allais rater mon train si je ne la réussissais pas,… D’habitude, je mets un ou deux jours pour entrer dans un film alors que là, on a tourné durant deux mois où il n’y a pas eu une journée facile. Quand on a tourné la dernière séquence du film, celle où le généticien m’apprend la fameuse nouvelle, je me suis dit « Elle m’aura eu jusqu’à la fin » (rires).

Ca vous plait au fond d’être dirigé comme ça ?

Oui. A partir du moment où j’ai confiance dans la personne, c’est difficile. Ce qui doit l’être plus, c’est de l’être par un imbécile. Quelqu’un qui est sûr de lui ou qui est nul. Là on va au clash.

En février prochain, on devrait découvrir votre première réalisation. C’est un changement de cap. Vous sentiez que c’était le moment de passer derrière la caméra ?
 
Non pas vraiment. Réaliser un film n’était pas vraiment un but en soi. Je ne comptais même pas le réaliser parce que je l’écrivais et je jouais déjà dedans. Puis je me suis rendu compte que j’étais peut-être la personne la plus à même de le faire… Je baratine un peu parce que j’avais proposé à deux amis réalisateurs de le faire et ils m’ont dit non (rires).

C’était qui ?

Benoit Mariage et Thomas Bidegain. Benoit co-écrit le film, Thomas a donné un coup de main aussi. On a tourné pendant six mois, puis le montage a duré aussi plus de six mois et nous voilà à presque un an et demi de travail. C’est un film tourné en caméras cachées. Ils n’avaient jamais mis les pieds sur un plateau de caméras cachées de leur vie.  Ca fait 20 ans que j’en fait alors je n’allais pas demander à quelqu’un de me diriger alors qu’il ne savait pas ce qu’on allait faire. Je pense que j’avais juste un peu la trouille…
 
Et vous, en tant que réalisateur, comment vous dirigez vos acteurs ? 

Sur mon film, je n’ai dirigé personne. Je joue le rôle principal du film et j’avais deux-trois acteurs qui ne sont même pas acteurs en fait… Le premier second rôle est tenu par un toiturier, il n’avait même pas lu le scénario (rires). Il y avait aussi un enfant et puis ma femme, qui est une actrice professionnelle et qui n’avait pas besoin d’être dirigée. Comme c’est un film en caméras cachées, je donnais parfois quelques conseils pendant qu’on enregistrait mais la personne piégée ne comprenait rien du tout. Je disais par exemple « refais-la un peu mais regarde moi quand tu parles » (rires).
 
D’avoir réalisé votre film, ça change votre perception d’acteur pour la suite ?

Je crois que si je devais refaire Otez-moi d’un doute, je pense que je serais beaucoup plus docile. Quand j’ai vu le film, j’ai appelé Carine pour m’excuser. Je lui ai mené la vie dure alors qu’elle me demandait de lui faire confiance.  Comme le film n’était pas tourné chronologiquement, on a commencé par toutes les scènes avec les pères. Je lui ai demandé si elle allait me faire larmoyer pendant deux mois (rires). Faire le gros dur fracturé un ou deux jours ça va, mais ça faisait déjà des semaines ! (rires). C’est rigolo, c’est chouette à faire. C’est comme si on était dans une voiture de rallye à côté de quelqu’un qui trace.

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