Interview d’Adil El Arbi & Billal Fallah (Black)
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Interview d’Adil El Arbi & Billal Fallah (Black)

par Thibault van de Werve
Publié: Dernière mise à jour le

En salles le 11 novembre en Belgique, le dernier long-métrage d’Adil El Arbi et de Billal Fallah, BLACK, a donné lieu à une rencontre pour le moins intéressante. 

D’où vous est venue l’idée d’adapter ces deux romans ?

Adil : En Flandre, tout le monde doit lire des livres de Dirck Braeck. C’est quelque chose de standard quand t’apprends le néerlandais. Il avait écrit BLACK, sur les bandes urbaines ce qui était très intéressant mais Back est la fin. BLACK se terminait sur un climax donc on a décidé de ne faire qu’un film sur les deux livres.

Quelles ont été vos influences ?

Adil : Principalement le cinéma d’auteur américain. Des réalisateurs comme Spike Lee, Scorsese, Oliver Stone. Ce sont des films avec des montages rapides, avec la musique, des mouvements de caméras et des angles parfois extravagants.

Billal : Ce sont des films où on reconnaît directement le fait que ça soit des films d’auteurs. On voit que ce sont des films de Spike Lee, Scorsese ou Oliver Stone.

Adil : Même si les histoires sont difficiles, elles peuvent être racontées à un large public. C’est ça qu’on voulait faire. On ne voulait pas faire un documentaire ou quelque chose trop « art et essai ». On voulait vraiment faire du cinéma.

Billal : Il y a deux films en particulier qui nous ont inspirés pour faire BLACK c’est LA CITE DE DIEU et LA HAINE. Ce sont des films qui, déjà, sont inspirés du cinéma américain malgré le fait qu’ils soient brésiliens et français.

Justement, dans sa critique, le site Twitch a dit que Black serait à la Belgique ce sur La Cité de Dieu était au Brésil et Gomorra était à l’Italie. Ca vous fait quoi ce genre de retours ?

Billal : J’ai joui. C’est la ligue des grands.

Adil : C’est exactement ce qu’on voulait faire avec BLACK. On voulait que ça se passe à Bruxelles et nulle part ailleurs mais que ça puisse quand même toucher tout le monde, qu’il n’y ait pas de frontières. Puis il y a vraiment des bandes urbaines à Bruxelles. Il n’y en a pas dans les autres villes belges, c’est quelque chose spécifique à Bruxelles. On a lu le livre en 2007 ou 2008 et, actuellement, c’est toujours le cas. Ce qu’on oublie souvent c’est que, avant tout, les victimes de ces bandes urbaines, ce sont les bandes urbaines elles-mêmes. C’est pour ça qu’on n’en parle pas vraiment. Il y a officiellement une trentaines de bandes urbaines à Bruxelles. C’est un peu moins dans la réalité mais ça existe. On voit parfois dans le journal une ligne sur le fait qu’un criminel ait attaqué un criminel. Les gens s’en foutent alors que la réalité est beaucoup plus grave et complexe que ça.

Billal : Dans le livre tout est très nuancé et bien expliqué. En le lisant, on comprend pourquoi ces jeunes rejoignent ces bandes. C’est vraiment ça qu’on a voulu montrer.

Comment avez-vous construit votre mise en scène ? La photographie est vraiment superbe par exemple.

Adil : On a dit à Robrecht (Heyvaert le directeur de la photographie NDLR) « Regarde, on veut qu’il y ait du mouvement. Le film est dur mais on ne veut pas que l’image le soit aussi. On veut qu’elle soit belle, qu’on ait l’impression que ça soit l’été le plus chaud qu’il y ait jamais eu ».

Billal : Et qu’il y ait une atmosphère exotique aussi.

Adil : Il fallait aussi une atmosphère clipesque. Ces jeunes ont parfois l’impression de vivre dans un clip de rap. D’où les images très léchées. Cela nous a également permis d’être durs. L’image est très belle, agréable à regarder. Cela permet d’embarquer le public. Grâce à la photo mais aussi à l’image. Et une fois que le public est avec nous, on peut l’emmener plus loin.

Vous aviez le film en tête dès le début ? vous saviez que vous allier mettre une reprise d’Amy Winehouse par exemple ?

Adil : Grâce aux films dont on a déjà parlé, on savait qu’on voulait un film plein. On sait que si on va en voir un, on en prendra plein la gueule.

Billal : Quelque chose d’épique, de grand, d’hollywoodien.

Adil : On adore la musique. La musique d’Amy Winehouse, on en a eu l’idée quand on réécrivait des scènes. Pour une séquence, on écoutait justement cette musique, on a fait attention aux paroles et on s’est dit que ça collait super bien au film. La mélancolie de la musique était superbe. On ne voulait pas utiliser l’originale parce que l’ambiance ne collait pas mais, si on pouvait faire un cover, ça aurait été génial. Ca nous a pris un an pour avoir les droits. Et normalement on est les derniers à pouvoir le faire.

Au niveau du casting, la majorité des acteurs sont débutants ou presque. Le seul que j’ai reconnu est Issaka Sawadogo. C’était une volonté de votre part d’avoir des débutants ou vous avez fait un casting et avez « juste » pris ce qui venait ?

Billal : C’était une nécessité. Quand tu vas dans des bureaux de castings, tu ne trouves pas d’acteurs entre 15 et 21 ans qui sont d’origine marocaine ou africaine. Tu n’en trouves pas. On a été obligés d’aller dans la rue et de chercher les profils nous même. C’est là qu’on a créé notre bureau de casting Acouna et qu’on a rassemblé 400, 500 jeunes. On a fait un casting intensif pendant 3-4 mois pour trouver chaque rôle. Il fallait qu’ils aient ce langage de la rue qui était très important au niveau de l’authenticité. Je pense qu’on a réussi. Pour chaque rôle il y avait plusieurs options. On a tellement de talents en Belgique et on ne les voit jamais. Avec ce film, on a eu l’occasion de les montrer.

Adil : Schoenaerts (Matthias NDLR) nous a donné la tune pour créer Acouna Casting donc, c’est notre patron. Il croit vraiment au projet. Ca aurait été dommage, une fois le film terminé, de jeter les 400 personnes qu’on avait trouvées. Ca va leur permettre de jouer dans d’autres trucs, pas forcément à nous.

Billal : Chacun a pu apporter un peu de son expérience donc c’est génial. En plus, Martha a été remarquée au festival de Toronto comme étant une des actrices à surveiller alors qu’elle n’avait jamais joué devant une caméra. C’est un truc dingue.

Comment travaillez-vous à deux ? Vous répartissez-vous les rôles ?

Adil : On n’y réfléchis pas vraiment en fait, c’est très naturel. Parfois je vais plus communiquer avec les acteurs et lui avec le cameraman. On switche tout le temps.

Billal : C’est même organique. On ne le pense pas, on le fait. Parfois il fait le bad cop et le fais le good cop.

Adil : Quand il y a un problème avec un acteur, il va plutôt parler avec lui. Pour le montage, c’est plutôt Billal qui l’a fait mais, quand il y avait un truc qu’il n’aimait pas trop, je m’en chargeais.

Billal : Pendant l’écriture, c’est plutôt Adil qui écrit et je suis plus à l’écoute. C’est une bonne balance.

Vous avez fait un storyboard ou vous avez travaillé selon le même processus ?

Adil : On est tous les deux très visuels. Billal, Robrecht et moi nous demandions tout le temps comment on pouvait faire en sorte que la scène soit mieux qu’une scène « normale ». Il fallait toujours qu’il y ait quelque chose qui sorte de l’ordinaire. Mais on n’a pas eu le temps ni le budget pour faire un storyboard. Si on avait eu le budget on l’aurait fait mais, on fait des storyboards sur place. Pour les scènes d’action surtout, on en faisait sur le plateau ou la veille.

Billal : Parfois il y a des scènes qui sont déjà dans nos têtes et qu’on sait déjà comment on va les découper et parfois on a des idées qui viennent pendant les répétitions. Pour nous il faut que tout soit intéressant, il faut que ça soit original. Chaque prise de vue doit être comme une peinture.

Dans le film on voit énormément la Gare du Nord. D’où vient cette « fascination » ?

Adil : Haha, c’est vrai qu’on la voit beaucoup. Notre école était pas loin donc ça nous a beaucoup inspiré. Puis, de manière générale, les gares sont des décors très cinématographiques. C’est un symbolique aussi. Le film se passe à Bruxelles mais la gare est un point de départ vers un ailleurs.

Billal : C’est aussi là que les personnages se rencontrent. C’est un endroit neutre, sans les bandes.

Le film a eu le prix Discovery au Festival de Toronto. Dans ce jury Discovery, il y avait une personne qui bosse chez Weinstein. C’est un signe ? Ils vont le prendre ?

Adil : C’est vrai qu’il nous a dit avoir kiffé le film. Il y a plusieurs distributeurs qui sont intéressés, entre autres, Weistein. Mais bon on verra. C’est encore tôt là et puis, tout ça ce sont des paroles. On verra ce que ça donnera. On a signé avec une agence américaine donc, fin du mois, on part à Los Angeles. C’est un rêve qui se réalise.

Adil : Faut juste faire attention à ne pas faire de daube. Les scénarios qu’ils envoient ne sont pas toujours… C’est bien écrit mais bon.

Vous avez déjà de nouveaux projets ?

Adil : C’est pas hyper sexy mais on aimerait faire un film sur des jeunes qui partent se battre en Syrie. C’est un truc international très actuel. On a un peu pitché cette histoire à Hollywood, ils en parlent. C’est une réalité. Je suis d’Anvers, Billal est de Vilvorde, il y en a plein qui partent de là. C’est histoire vraiment très très proche de nous. Si nous on ne raconte pas cette histoire, qui va le faire ? Ca c’est LE prochain film qu’on va faire.

Billal : Mais ça va rester du cinéma. C’est pas du documentaire. Entertainment.

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