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Takhte Siah

par Sylvie Jacquy
Publié: Dernière mise à jour le

Titre français : Le Tableau Noir

Equipe:
Durée : 84’
Genre:
Date de sortie: 31/10/2000

Cotation:

4 sur 6 étoiles

Si vous avez manqué le début:

La première scène du film nous entraîne dans les montagnes rouges et rocailleuses du Kurdistan iranien pas très loin de la frontière avec l'Irak. Compte-tenu de la situation géopolitique de l'endroit, on ne s'attend pas à voir y débarquer une bande de randonneurs sac au dos mais encore moins un groupe d'instituteurs tableaux sur le dos. Et pourtant surgis de nulle part, tels une meute de chauves-souris, ils errent à la recherche d'élèves, portant leur unique bagage comme un lourd fardeau, prêts à échanger leur savoir contre une bouchée de pain ou une poignée de noix.
Ils avancent en nous tournant le dos, offrant à la caméra leur immense tableau (trouvaille visuelle singulière) qui, faute de craie et maculé de boue, comme une carapace, les protège des balles perdues. Très vite, le groupe initial va se disperser pour nous amener sur les pas, ou plutôt derrière le tableau de deux d'entre-eux, Reeboir (joué par le réalisateur Bahman Ghobadi) et Saïd (non-professionnel) qui eux-mêmes pour ne pas se faire de concurrence choisiront un chemin différent.
Saïd poursuivra sa route en suivant des vieillards égarés à la recherche de la frontière, dans le but de mourir au pays. Reeboir lui fera l'école buissonnière à une bande de gamins contrebandiers.

 

Notre critique:

Sanglée dans son tchador, on se souvient de la frêle silhouette de Samira Makhmalbaf sur l’estrade cannoise recevant son prix du jury pour ce second film. La demoiselle en bonne élève, avait trois ans auparavant pour son premier long métrage (LA POMME), déjà reçu la Caméra d’Or.
Sa précocité n’est sans doute pas un hasard puisque papa Makhmalbaf (co-scénariste et producteur du film) est lui-même un réalisateur phare de la Nouvelle Vague iranienne tout comme Abbas Kiarostami, plus connu dans nos plates contrées.
La tendance serait donc aux filles qui volent la caméra de leur papa (Sofia Coppola / VIRGIN SUICIDES)?

Le Tableau Noir est un film qui ne se laisse pas facilement apprivoiser. Tout comme ses protagonistes, on se méfie, car derrière la beauté des images et l’originalité des cadrages, les fables de Reeboir et Saïd ont parfois du mal à nous transporter. Leurs pérégrinations sont autant d’énigmes que de cailloux dans ce désert aride du Kurdistan. Samira Makhmalbaf utilise à foison doubles sens, ellipses et allégories. A chaque étape, le tableau noir prend différentes significations métaphoriques, tour à tour brancard, paravent, porte de chambre nuptiale, bouclier et même trousse de pharmacie.
A force de lui poser des équations à inconnues multiples, l’élève spectateur a du mal à assimiler la leçon et se retrouve dubitatif et désorienté.
Et poutant, nom d’un chameau, au milieu de cette frénésie symbolique, on voudrait bien comprendre les motivations de ces ayatollahs de la grammaire, la peur et la crainte qu’ils suscitent, et ce vieillard qui a pour unique obsession de pouvoir pisser! Mais Samira Makhmalbaf tout comme le seul personnage féminin de son film, reste de marbre et enfermée dans son mutisme.

On comprend que dans ce pays la contrainte de la censure doit être omniprésente, qu’appeler les gens et les choses par leur nom ne doit pas être aisé et que les subterfuges doivent être élevés au rang de l’art. Et l’on se dit qu’un jour peut-être, quand le mot Liberté aura un sens en Iran, le soleil levant et le brouillard de clôture du film, pourront s’inverser.