Equipe: Dakota Johnson, David Kajganich, Jessica Harper, Luca Guadagnino, Mia Goth, Sylvie Testud, Tilda Swinton
Durée : 152’
Genre: Film d'horreur
Date de sortie: 14/11/2018
Cotation:
Si vous avez manqué le début:
Une prestigieuse compagnie de danse cache de terribles secrets qui consument tous ceux qui la fréquentent. Alors que certains sombrent dans le cauchemar, d'autres se réveillent enfin.
Notre critique:
Quarante-et-un an après le classique de Dario Argento, voici que débarque le remake réalisé par son compatriote Luca Guadagnino (A BIGGER SPLASH, CALL ME BY YOUR NAME). SUSPIRIA fait partie des grands films des années 70, c’est un classique du cinéma de genre, le fer de lance du giallo. En faire un remake semblait être une mauvaise idée à priori. Il fallait qu’il y ait une réelle plus-value, un angle nouveau, un contexte différent peut-être, bref, quelque chose.
Le film démarre avec les logos des producteurs et distributeurs de façon dessinée avant de laisser place à un panneau indiquant que le film se déroulera en six actes suivis d’un épilogue. Il démarre par une scène dans laquelle une jeune fille (Chloé Grace Moretz méconnaissable et surprenante) se rend chez son psy en panique. Ensuite, l’histoire démarre véritablement, avec, dans les grandes lignes, le même déroulé que le film d’Argento. C’est à dire, l’école de danse, la nouvelle venue, les événements bizarres, les disparitions, … Là où Guadagnino prend de la distance avec l’œuvre d’Argento, c’est au niveau du contexte et de certains parallèles qu’il fait. Le film se déroule à Berlin et Guadagnino a décidé de rendre le contexte de la guerre froide, post Seconde Guerre Mondiale, beaucoup plus important. Quand il arrive dans les derniers actes, il fait des parallèles évidents entre les événements ayant lieu dans l’école avec le nazisme, poussant la réflexion sur les messages transmis, plus loin que n’allait Argento. A part cela, ce qui est déjà pas mal en soi, on ne peut pas dire qu’il y ait une réelle plus-value par rapport à l’œuvre originelle du point de vue du contexte. En ce qui concerne l’histoire, Guadagnino va un peu plus loin qu’Argento au niveau de l’arc des Trois Mères (ceux qui connaissent le film d’Argento savent de quoi il s’agit, les novices le découvriront). Chez Argento, SUSPIRIA était le premier volet d’une trilogie (bien que chaque film peut être vu indépendamment des autres). Guadagnino en profite pour élaborer plus longuement sur cette mythologie et on peut dire que la direction dans laquelle il va est digne d’intérêt. C’est une différence majeure, avec le personnage de Suzy, qui justifie la mise ne route de ce projet.
Guadagnino n’essaie pas de faire un giallo bien qu’il en emprunte quelques codes, au début principalement. Il utilise de grands mouvements de caméras, saccadés, grandiloquents, peu naturels. Il s’amuse aussi avec quelques zooms rapides, technique largement délaissée de nos jours. Il filme très bien les montées en puissance et autres moments de folie. C’est notamment le cas lors de deux scènes particulièrement marquantes. Ce sont deux scènes de danse dont la première a lieu en différents endroits. Le montage parallèle entre l’action d’une personne et les conséquences de ses gestes dans un autre lieu crée une tension monstre. On s’arrêterait presque de respirer! La seconde scène a lieu à la fin, avant le climax. Chacune de ces scènes est d’une esthétique hyper travaillée et réussie. Il fallait bien qu’il y ait un minimum d’héritage d’Argento tout de même. Le montage, rapide, voire très rapide et dynamique, et le mixage tant des images que du son sont hyper précis et très soignés. Le vent, les bruits de pas, des objets qui craquent, se cassent, l’environnement sonore est l’une des pièces maitresses pour obtenir un tel ressenti. Sans cela, c’est indéniable que le résultat ne serait pas le même, que le film, ou en tout cas certaines séquences, ne seraient pas aussi puissantes. Il en est de même pour l’esthétique et donc pour la photographie et les codes couleurs.
Qui dit film sur la danse dit corps. Les corps, leur forme, leurs gestes, leur démarche, ont une importance capitale. Pour la danse bien entendu mais pas seulement. Chaque corps sera mis à rude épreuve, à cause des événements particuliers qui ont lieu dans l’école. Guadagnino les filme au mieux. Il est près d’eux, les filme en gros plans. Il les scrute de loin et s’en approche petit à petit. C’est presque cérémoniel jusqu’à obtenir un festival de corps qui tend vers la folie. La musique, généralement assez rock, univers musical du compositeur (le chanteur de Radiohead Thom Yorke) est, dans ces moments, assourdissante et répétitive, augmentant le sentiment de folie qui s’empare des personnages. C’en est presque enivrant.
Pour incarner ses personnages, Guadagnino a choisi plusieurs comédiennes avec qui il a déjà travaillé, Dakota Johnson et Tilda Swinton en tête (c’était dans A BIGGER SPLASH). Dakota Johnson n’a pas encore trouvé le rôle qui mettra tout le monde d’accord sur son talent et SUSPIRIA n’est pas encore celui-ci. Cependant, petit à petit, Johnson arrive à atteindre des sommets. Elle se donne corps et âme dans le rôle de Susie. Tilda Swinton est parfaite pour incarner madame Blanc, la professeure qui donne les cours de danse, mais cela, c’était une évidence dès l’annonce du casting. Concernant les autres, on peut saluer la présence de Mia Goth (LE SECRET DES MARROWBONE, A CURE FOR WELLNESS et bientôt dans HIGH LIFE de Claire Denis), qui apporte un mélange subtil de naïveté et de détermination, Sylvie Testud dans un rôle particulier qu’on voit malheureusement trop peu, Lutz Ebersdorf dans le rôle du psy mais aussi … Jessica Harper, la Susie d’Argento, qui fait un caméo !
SUSPIRIA fait partie de ces films qu’il faudra voir plus d’une fois afin de le digérer de façon optimale tant il est riche et différent de l’original. En même temps, il a aussi beaucoup de similitudes, dans sa narration notamment, ce qui confère au film un goût particulier loin d’être inintéressant ou inutile. Luca Guadagnino a fait un travail tout à fait convenable qu’il sera bon de rejuger dans le futur afin de voir l’empreinte qu’a laissé son film.