No Man's Land
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No Man’s Land

par Sylvie Jacquy
Publié: Dernière mise à jour le

Titre français : No Man's Land

Equipe:
Durée : 98’
Genre:
Date de sortie: 09/10/2001

Cotation:

6 sur 6 étoiles

Si vous avez manqué le début:

Perdus en plein brouillard au beau milieu de la nuit, un groupe de combattants Bosniaques, hirsutes et goguenards grillent leurs dernières cigarettes en attendant que l’aube pointe le bout de son nez. Dès les premières lueurs du soleil, à peine le temps de se rendre compte qu’ils sont perdus et passés du côté de la ligne ennemie que déferle sur eux une pluie de tirs serbes. Nous sommes en Bosnie et cette belle journée d’été 1993 se lève sur l’horreur d’un champ de morts au milieu des herbes folles. Seul rescapé de cette embuscade, Ciki parvient à ramper jusqu’à une tranchée abandonnée entre les deux lignes de front où il va vite se retrouver face à face avec Nino un jeune soldat Serbe envoyé en reconnaissance. Entre les deux hommes le corps d’un troisième gît, blessé et couché sur une mine « bondissante » prête à exploser si il se lève ou fait le moindre mouvement. Coincés dans ce no man’s land dont ils ne peuvent sortir sans se faire abattre par l’un ou l’autre des deux camps, pris en otage dans un huit clos à ciel ouvert, la seule solution qui s’offre à eux pour sauver leur peau est d’attirer l’attention de ceux qu’ils appellent les Schtroumpfs (Casques bleus). Pendant que leur sort se joue dans un grotesque show militaro-médiatique qui tournera vite au jeu macabre, prisonniers dans leur tranchée, les trois hommes se voient contraints de cohabiter. Faute d’en venir aux mains, ils vont vite s’affronter verbalement se rejetant mutuellement la responsabilité du conflit dans un dialogue de sourds puis un non-dialogue dont les propos et les arguments universels résument à eux seuls, l’absurdité et la bouffonnerie des guerres.

 

Notre critique:

Peut-on rire de tout ? Pour le réalisateur Bosniaque Danis Tanovic c’est plus qu’une évidence, ce serait même une forme d’exutoire pour l’aider à exorciser les vieux démons qui le taraudent. Et à ceux qui lui jetteraient la pierre en jugeant son film déplacé et son humour ironique mal venu devant un sujet encore trop brûlant comme la guerre en Bosnie, n’oublions pas que ce conflit fut avant tout le sien et qu’il n’en a rien oublié. En 1992, alors qu’il est encore jeune étudiant en cinéma à Sarajevo, il rejoint l’armée bosniaque et filmera pendant deux ans le siège de la capitale, la vie quotidienne sur la ligne de front, accumulant des milliers d’heures d’images qui seront reprises par les télévisions du monde entier et de nombreux documentaires. En passant à la fiction avec ce premier long métrage on aurait pu craindre qu’il ne sombre dans un film donneur de leçons aux relents militants teintés de spectaculaire et de sentimentalisme mais son NO MAN’S LAND n’est rien de tout ça.

Fort et insolent, culotté et pertinent ce film tel un miroir grossissant épingle avec beaucoup de lucidité des vérités qui gênent et font mal. Loin des fastes et des fresques hollywoodiennes, il se moque et dénonce les affres non pas d’une, mais de la guerre en général qu’il réussit à transposer à l’échelle d’un petit groupe d’hommes, choisissant le ton de l’humour noir et le parti pris de la satire allégorique. A travers ses trois soldats paumés qui parlent la même langue, ont connu les mêmes filles mais sont condamnés à s’affronter, il expose les conséquences et les absurdités des haines raciales, ethniques ou religieuses. Avec un irrespect féroce et beaucoup de réalisme, il décrit aussi l’inefficacité et les dysfonctionnements internes des grandes puissances et des grandes organisations. Comment prétendre sauver un peuple menacé de purification ethnique lorsqu’on est incapable d’épargner trois vies… Et au passage il ne se gêne pas non plus pour souligner l’incongruité et le cynisme des médias prêts à tout dans leur quête et leur obsession du sensationnel.

NO MAN’S LAND est une œuvre qui ne fait pas de cadeaux, interprétée par des inconnus tous impeccables et saisissants de vérité. Elle offre une vision différente et inédite de la guerre en mêlant habilement tragique et comique. Captivante et sans temps mort, elle installe une tension grandissante où le rire est juste là pour tenter de détendre les gorges qui se serrent face à l’effroi qu’elle nous procure. Prix du scénario au dernier festival de Cannes, ce film bouleversant a le mérite de nous remettre les pendules à l’heure et les points sur les i en ces temps ou l’on prétend parler de guerre. Et si chacun sait que c’est une vaste connerie, Danis Tanovic avec beaucoup de talent et un style inventif hors du commun fait bien de nous le rappeler une fois de plus.