Master Class de Guillermo del Toro
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Il était une fois une master class de Guillermo del Toro

par Eric Van Cutsem
Publié: Dernière mise à jour le

11 avril 2018, 20h24. Bozar à Bruxelles. La fébrilité monte. L’équipe du Festival International du Film Fantastique de Bruxelles (BIFFF) est tendue. Jonathan court dans tous les sens, la sueur perle à son front. La rumeur enfle lentement mais sûrement, le nom de Guillermo del Toro est sur toutes les lèvres même celles des zombies enfermés dans les caves du palais. Les VIP avec ou sans billet se dirigent lentement vers le premier étage de la salle Henry Le Boeuf tandis que la foule se presse devant les portes qui ne se sont pas encore ouvertes.

11 avril 2018, 20h34. Bozar à Bruxelles. Alors qu’on nous laisse peu à peu rentrer, la tension monte d’un cran, les bénévoles, à l’image des organisateurs, courent en tous sens aussi mais les spectateurs restent calmes tandis que le brouhaha enfle dans la grande salle qui se remplit par vagues. Pulsée au rez-de-chaussée, au premier balcon ou au troisième balcon, la foule se répand sur les sièges, tentant tant bien que mal de se positionner au mieux. Le plus près de la scène étant une solution plus qu’appropriée pour cette salle de concert dont l’acoustique est la meilleure du monde tant qu’on n’utilise pas les micros du BIFFF. Une aberration.

Master Class de Guillermo del Toro

11 avril 2018, 20h49. Bozar à Bruxelles. La foule s’impatiente. Et rien n’est plus mauvais qu’une foule qui s’impatiente. Les premiers applaudissements de “j’en ai ras-le-bol” font leur apparition.

11 avril 2018, 20h52. Bozar à Bruxelles. Ça y est, Stéphane, présentateur tout terrain (et le Diable sait qu’il faut être tout-terrain au BIFFF), fait son  entrée, plus agité et gesticulant que d’habitude (si, si, c’est possible) et annonce Guillermo del Toro! Enfin! On n’y croyait plus. L’oscarisé del Toro est sur la scène, la multitude applaudit et dans un élan se lève. Difficile de faire mieux pour un réalisateur qui vient d’obtenir une des récompenses suprême au cinéma, et pas avec n’importe quel film, puisqu’il s’agit de THE SHAPE OF WATER, un film fantastique. Bon d’accord on est loin des 22 minutes de standing ovation à Cannes en 2006 pour son film PAN’S LABYRINTH, mais nous n’avons pas à rougir pour autant. 

Master Class de Guillermo del Toro

Les organisateurs le savent, le public surtout, la master class ne commencera pas sans une chanson préalable. Mais Guillermo del Toro oblige, celui-ci ne fait pas le choses à moitié et se fend d’un orchestre de mariachi pour l’accompagner. Orchestre qu’il a fallu trouver à Anvers 2h avant le début du show! Vous avez dit “agile”? C’est ce qui fait la force du BIFFF depuis 36 ans. Chanson, donc, avec accompagnement. La barre pour les autres invités qui passeront à la casserole de la chanson vient d’être relevée de plusieurs niveaux. Merci pour la pression, Monsieur del Toro.

Master Class de Guillermo del Toro

Le tour de chant fini, c’est au tour des interviewers de faire leur entrée. Ils sont là pour soumettre le maître à la question (en anglais). Coté francophone, c’est Fabrice du Welz, réalisateur bien connu de films de genre (ALLELUIA, CALVAIRE, VINYAN, etc) qui s’y colle et qui fait une entrée remarquée se terminant sur les genoux devant Guillermo del Toro. Pas de doute, Fabrice est comme nous, il aime et respecte del Toro. Côté nord, c’est Jonas Govaerts (WELP) qui fait son entrée plus raisonnable et s’installe, tout aussi admiratif devant les 310 livres (plus ou moins 140 kilos) du maître (c’est lui-même qui confiera au public ce poids expliquant que l’anxiété durant les tournages le fait grossir).

Il est passé 21h et l’ambiance est surchauffée. Mais que fait donc la police? Ben, elle attend tout simplement le moment de l’adoubement à l’ordre du corbeau de Guillermo fait, en compagnie de monstres parfaitement appropriés, par un Guy Delmotte que l’on espère sobre pour l’occasion. On ne sait jamais, cela dérape vite une lame, et la réputation du BIFFF en prendrait un coup. On voit déjà les gros titres “Guillermo del Toro perd la tête au BIFFF”. Heureusement tout se déroule bien. Pas d’anicroche au programme.

Master Class de Guillermo del Toro

Il est 21h07 et l’on va enfin démarrer LA master class de l’année à Bruxelles avec un Guillermo del Toro que l’on sent décontracté, amical, sans langue de bois et bien entouré. Après un parcours en images de sa carrière, les questions vont suivre sa filmographie tout en s’appuyant sur ses réflexions vis-à-vis du cinéma et de la vie en général. En voici quelques morceaux choisis au fil des 10 films réalisés depuis 1993.

CRONOS (1993)

Fabrice Du Welz démarre sur une question essentielle à laquelle del Toro n’a aucun mal à répondre: pourquoi faire du cinéma? Le maître explique à ses élèves largement recueillis -la foule est remarquablement calme et le restera d’ailleurs jusqu’à la fin- que pour lui, quand il était tout jeune, le cinéma c’était la réalité que quelqu’un filmait pour que d’autres puissent la voir. La vision qu’ il avait du cinéma était donc celle, non pas d’une réalité alternative, mais bien de la réalité tout court. Et pour lui, jusqu’à 10 ans, ce que disait les adultes paraissait stupide tandis que les films de genre étaient sa bible, SA vérité.

CRONOS parle de vampires mais aussi d’alchimie, une obsession chez le réalisateur. Il s’en explique tout simplement en disant que l’alchimie c’est l’art de la transformation et que la transformation est au centre de quasiment tous ses films. Pour lui, le rôle de l’artiste en général c’est de dire “Fuck you to the world” et de le transformer à sa façon.

Qui dit vampires, dit bien sûr immortalité et sur ce sujet, en bon mexicain, Guillermo pense que la vie sans la mort n’a pas de sens. Peu importe la mort, ce qui importe c’est que la vie ne soit pas permanente.

Réalisateur mexicain, il était normal aussi d’aborder avec lui les possibilités du cinéma de ce pays à l’époque où il a commencé. Là non plus pas de langue de bois chez Guillermo del Toro qui explique que quand il a débuté, faire du cinéma, c’était presque illégal au Mexique. Il fallait se battre de bout en bout et souvent pour des causes perdues d’avance. Ce qui explique aisément les 4 années et demi passées à faire approuver CRONOS (qui s’est heureusement finalement fait et se retrouvera même par hasard à la semaine de la critique à Cannes).

Enfin, le film CRONOS est aussi l’occasion d’aborder avec le réalisateur mexicain son rapport avec les insectes qu’il a d’abord considéré comme des anges et puis comme des fées, avec un côté plus ambigu donc, et moins “angélique” que quand il était plus jeune.

MIMIC (1997)

Si l’on pouvait croire qu’après le succès de CRONOS, tout était devenu rose pour Guillermo del Toro, ce dernier nous détrompe rapidement. Il a bien au contraire connu une période sans emploi et a essuyé échec après échec pendant près de 5 ans! Il a écrit 5 ou 6 scénarios qui n’ont jamais été tournés. Et puis MIMIC arrive. Loin d’être un long fleuve tranquille, ce film, produit entre autres par les frères Weinstein (Harvey et Bob), va devenir le film sur lequel il s’est le plus battu de toute sa carrière et où il a hélas dû céder sur beaucoup de points pour faire le film jusqu’au bout. Un cauchemar selon lui puisqu’il se battait depuis 6h du matin jusqu’au soir sur des points de détails! Mais del Toro sait se relever de ses échecs et surtout en tirer les leçons. D’où son conseil aux jeunes réalisateurs vis-à-vis des producteurs: “faites les meilleures prises possibles et les meilleures images dès le début du tournage, comme ça les producteurs sont séduits et ne souhaitant pas que la qualité baisse, ils approuveront les dépenses plus facilement”. Messieurs les réalisateurs en herbe, vous voilà prévenus!

DEVIL’S BACKBONE (2001)

Film écrit depuis de nombreuses années, DEVIL’S devait être au départ un film mexicain mais plusieurs rencontres, dont celle avec Almodovar, en ont fait un film principalement espagnol. C’est aussi, selon ses dires, son film le plus politique (avec sans doute PAN’S LABYRINTH). L’orphelinat où l’action se déroule est un vrai monde politique en miniature.

BLADE II (2002)

Si l’on retrouve toutes les préoccupations du réalisateur mexicain dans ce BLADE II, c’est aussi le film qui lui a permis d’appréhender toutes les techniques du film d’action. Ayant tourné seul, sans seconde équipe, il a été de tous les plans, réinventant/inventant certains procédés propre à ce genre de film. Il a également appliqué à ce film un principe qu’il a toujours utilisé: faire tourner le plus possible son histoire autour du méchant (ici, Nomak, interprété par Luke Goss), c’est de en faisant cela que l’histoire prend de l’intérêt.

HELLBOY (2004)

Guillermo del Toro a découvert le comics sur le tournage de MIMIC (comme quoi les tournages difficiles servent à quelque chose). Et il allait se procurer les comics dans une boutique à New York non loin de là. Il profite des questions autour de HELLBOY pour préciser sa façon d’écrire les scénarios. Il explique qu’il installe d’emblée les présupposés (d’où une propension à utiliser la voix off dans ses films) et ne s’appesantit surtout pas dessus en cours de récit. Cette façon de travailler est valable autant pour les blockbusters (PACIFIC RIM) que pour les films plus intimistes.

CRIMSON PEAK (2015)

Après de brèves mentions de PACIFIC RIM qui font écho à ces remarques sur les blockbusters, Guillermo del Toro aborde CRIMSON PEAK en précisant qu’hélas cela a été pour lui le film le plus mal vendu du monde, ce qui explique en partie son échec public, et que cela lui a réellement brisé le coeur. Universal n’a jamais voulu le positionner comme une romance gothique et une grande part du public a cru qu’il s’agissait d’un pur film d’horreur.

Il en profite aussi pour digresser sur l’importance pour lui de la bonne entente et du respect entre être humains, délivrant ainsi un vrai message d’humanité: les êtres humains ne sont complets que quand ils se complètent entre eux, message qui est présent dans CRIMSON PEAK.

Il explique également d’où lui est venu l’inspiration pour cette histoire de fantômes, mentionnant deux expériences pendant lesquelles il a “entendu” des “fantômes” (notamment en Nouvelle Zélande, dans un hôtel, le cri d’une femme qu’on assassine). Apparemment, même si il est sceptique (ou peut-être parce qu’il l’est), il essaye toujours lors de ses déplacements de se trouver sur des lieux dits “hantés” et de dormir dans les chambres qu’occupent peut-être des fantômes. C’est sans doute cela que l’on appelle de la conscience professionnelle.

PAN’S LABYRINTH (2006)

Film de 30,5 millions d’euro, PAN’S est basé sur une histoire originale inspirée par les nombreux livres qu’il possède sur les fées et les contes de fées.

Guillermo est très fier de la musique composée par Javier Navarrete à qui il avait demandé de préparer certains morceaux à l’avance pour qu’il puisse servir d’inspiration sur le tournage. Pour lui, c’est un des 3 meilleurs scores parmi ses films (dont THE SHAPE OF WATER).

Et une fois de plus, toujours très direct, il évoque les énormes problèmes de tournage qu’il a rencontrés sur ce film (dus à une chaleur étouffante et une sécheresse terrible qui posait des problèmes sur les décors). Mais comme à son habitude, Guillermo del Toro a utilisé ces échecs pour se relever.

Il insiste aussi sur le fait qu’il est pour lui nécessaire de mélanger la beauté et la violence dans ses films. C’est le cas de PAN’S LABYRINTH mais aussi celui de ses autres films. Beauté et violence sont formidables ensembles tant que l’une et l’autre sont sincères. C’est leur présence conjointe qui bouscule les spectateurs et il estime que l’on ne peut vivre sa vie sans déstabiliser les gens, sinon ce serait une vie ennuyeuse. C’est donc ce qu’il fait dans ses films: bousculer les gens.

Guillermo part ensuite sur des réflexions plus générales sur la vie et sur ce qui le pousse intrinsèquement à se jeter après chaque tournage dans la bataille du suivant. Il parle du destin en affirmant que tous les choix que l’on fait dans sa vie prendront sens dans les quelques secondes avant sa mort. Il insiste aussi sur le fait qu’il veut produire au moins un film par an pour de nouveaux ou de jeunes réalisateurs et donne une leçon pour tous les amateurs de box office: “Je ne m’inquiète pas pour le nombre de gens qui voient mes films, mais plutôt à quel point ceux qui les ont vu les ont aimés profondément”.

THE SHAPE OF WATER (2017)

Bien que l’expérience de ce dernier film soit encore trop proche pour qu’il en dévoile tous les problèmes, il insiste encore une fois sur le fait que le premier jour de tournage a été tellement mauvais qu’il a impacté tout l’ensemble du déroulé du film. Il essuyait quasi 3 problèmes différents par jour. On sent clairement que Guillermo del Toro veut faire sentir à l’auditoire que faire un film n’est jamais une sinécure, et que c’est le travail, la résilience qui permettent aux réalisateurs d’aboutir à faire le film qu’ils ont souhaité. Gageons que le message est  bien passé chez Fabrice du Welz et Jonas Govaerts mais aussi à tous les cinéastes présents dans la salle.

Il est près de 23h10 dans la salle du Bozar à Bruxelles quand, après quelques (gentils) rappels à l’ordre par les organisateurs du BIFFF, il est temps de clôturer ces deux heures d’une master class exceptionnelle. Le public en redemande, Guillermo, d’une gentillesse et d’une disponibilité totales, aurait bien continuer lui aussi mais il faut céder la place au film suivant et aux autographes que ne manquera pas de distribuer aux personnes présentes cet immense réalisateur.

Tout se termine par des applaudissements et une standing ovation accompagnant Guillermo del Toro alors qu’il quitte la scène. 11 avril 2018, 23h15. Bozar à Bruxelles.

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