Accueil Evénements 80e Festival du Film de Venise: Jour J+2

80e Festival du Film de Venise: Jour J+2

par Eric Van Cutsem

Au taquet dès 6h aujourd’hui. Donc éveillé et prêt pour 6h30, moment d’ouverture de la réservation en ligne via l’abominable système de VivaTicket qui nous stresse à chaque emploi. Il faut savoir que ce système nous impose d’entrée une salle d’attente dont la durée varie selon on ne sait quel critère et qui peut aller entre 2 minutes et des heures d’attente. Et une fois entré sur le site, rien ne dit qu’un bug ne vous fera pas sortir aussi vite et vous remettra dans une file en général plus longue (puisque entretemps plus de gens se sont connectés).

A 6h30 donc les 5 membres de la coloc, qui devant leur ordi, qui devant leur téléphone, attendent fébrilement de pouvoir réserver. Evidemment, certains s’en sortent bien, d’autres moins et c’est parfois assez difficile de dire que son collègue a déjà tous ses films alors que l’on attend toujours de rentrer dans le système…

Pour ne pas perdre de temps, vers 7h10 (plus tard que d’habitude), nous partons tous vers le vaporetto, certains continuant à attendre sur leur téléphone d’accéder aux réservations. Grand bien nous a pris car la file pour le vaporetto s’étend sur plusieurs dizaines de mètres. Heureusement, nous retrouvons sur place des collègues déjà dans la file, ce qui nous permet de passer -sous l’oeil très réprobateur de quelques journalistes- devant pas mal de personnes (non, nous ne sommes toujours pas fiers du procédé).

Nous arriverons très juste à la sala Grande avant la projection de POOR THINGS le nouveau film de Yorgos Lanthimos, réalisateur toujours d’une originalité incroyable (THE LOBSTER, THE KILLING OF A SACRED DEER). Si l’on devait résumer le film, on pourrait dire qu’il s’agit du mythe de Frankenstein revisité, dans lequel le docteur est celui qui est rapiécé et où la créature, une femme, est plutôt la belle dans la belle et la bête. Dis comme cela on peut se demander de quoi il s’agit mais à la vision du film à l’imagerie fabuleuse, à l’invention de tous les instants et aux dialogues très travaillés, on se dit que POOR THINGS risque bien de se retrouver avec un prix à la fin de Festival. D’autant qu’Emma Stone livre une prestation remarquable en tant que créature et que Willem Dafoe comme créateur est complètement illuminé comme il sied à un savant de cette ampleur. 2h20 plus tard, on a quelques difficultés à se tirer du monde dans lequel Lanthimos nous a emmené et aussi quelques problèmes à mettre en place toutes les pièces du puzzle de cet univers très riche!

Après, je n’ai pas tant que ça de temps devant moi car la journée sera chaude puisque je vais enchaîner 5 films dont les 3 premiers font chacun entre 2h20 et 2h35, avec à peine 10 minutes entre eux pour respirer!

Retour donc à la sala Grande après la sortie pour voir FINALMENTE L’ALBA, un film italien de Saverio Costanzo (il a réalisé la série télévisée L’amie prodigieuse). Grosse déception pour le film qui retrace plus ou moins 24h de la vie d’une jeune femme qui se retrouve à Cinecittà pour accompagner sa soeur sur un casting. En effet, celui-ci fait un peu office de BABYLON italien avec les moyens et l’imagination en moins. C’est long, cela se sent, et surtout, le mélange d’un cinéma façon Fellini avec de musique électro n’est pas vraiment réussi.

Rebecca Antonaci dans FINALMENTE L’ALBA

Sur ce goût de trop peu, je m’empresse faire une rapide halte hygiénique puis retourne pour la 3e fois aujourd’hui dans la sala Darsena pour voir EXPLANATION FOR EVERYTHING (MAGYARAZAT MINDENRE), un film hongrois de Gábor Reisz. Le film suit Abel Trem, un garçon au collège, qui va passer ses examens finaux et qui est amoureux d’une de ses camarades. Mais ce n’est pas le sujet du film qui, lui, est complètement politique puisqu’en fait ce garçon en passant son examen final portera un pins nationaliste qui va lui valoir beaucoup de problèmes!

Le film est donc prétexte à une analyse du problème politique hongrois et de la présence de Viktor Orban au pouvoir. Intelligemment amenée et narrée, cette analyse est au coeur du film et permet de présenter aux spectateurs du monde entier ce qui se passe en Hongrie actuellement.

Après 2h35, je me retrouve dehors sous le soleil (ça chauffe à Venise, on frise les 30 degrés) et je termine ma chronique du jour précédent pour la mettre en ligne juste à temps avant de partir vers mon 4e film de la journée, un film expérimental de Harmony Korine, AGGRO DR1FT projeté en sala Perlà au palazzo Casino.

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas Harmony Korine, c’est le réalisateur du sulfureux SPRING BREAKERS mais aussi le scénariste du non moins sulfureux KIDS (1995) de Larry Clarck. Avec AGGRO DR1FT, il livre un délire musical (assourdissant) et visuel (tout est filmé en caméra infrarouge) de 1h20. Difficile de dire à quoi cela correspond. Peut-être à une sorte d’happening, d’oeuvre artistique hors norme ou simplement un film trop long? Cela a en tout cas le mérite d’être intrigant et de repousser les limites des spectateurs. Après tout, c’est évidemment ça aussi le cinéma, non? Ah, oui, l’histoire: il s’agit d’un tueur solitaire avec femme et enfants qui dézingue sur commande un sale type ressemblant plutôt à un démon…

AGGRO DR1FT

Je suis dehors avec les oreilles qui bourdonnent et les yeux qui voient tout en infrarouge vers 21h pour manger sur le pouce un sandwich car je n’ai rien mangé depuis le matin si ce n’est une glace avec une boule nocciola et et une boule ciocolato fondante à se damner vers 17h. Rien que de l’équilibré comme toujours en période festivalière!

Je termine mon sandwich en faisant une file rapide pour entrer dans la sala Perla de nouveau vers 21h25 pour voir le dernier Roman Polanski, THE PALACE. Et là, la déception est la mesure de l’oeuvre complète du bonhomme! Le film est une comédie qui se déroule la veille du passage à l’an 2000 dans un palace de montagne. Cela pourrait faire penser à bien des films sur le sujet mais le film ne tient pas la route, n’est pas drôle, met en scène des femmes et des hommes complètement lifté.e.s, laisse Mickey Rourke , John Cleese, Joaquim Almeida et Fanny Ardant en roue libre et se termine par une scène dont on se demande si Polanski a seulement lu le scénario qu’il a écrit avec Ewa Piaskowska et Jerzy Skolimowski. Effrayant, attristant et l’on se pose des questions comment le Festival de Venise a-t-il pu accepter cela?

La rentrée se déroule sans encombres, mais dans un vaporetto archi-comble à nouveau pour me coucher enfin vers minuit trente.

Et la lune se reflète sur la lagune comme tous les soirs à Venise.

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