Equipe: Aaron Taylor-Johnson, Christopher Nolan, Clémence Poésy, Elizabeth Debicki, John David Washington, Kenneth Branagh, Michael Caine, Robert Pattinson
Durée : 150’
Genre: Film d'espionnage, Film de science-fiction
Date de sortie: 26/08/2020
Cotation:
Si vous avez manqué le début:
Muni d'un seul mot –Tenet– et décidé à se battre pour sauver le monde, notre protagoniste sillonne l'univers crépusculaire de l'espionnage international. Sa mission le projettera dans une dimension qui dépasse le temps. Pourtant, il ne s'agit pas d'un voyage dans le temps, mais d'un renversement temporel...
Notre critique:
Vous verrez cette formule souvent dans des articles relatifs à TENET et pour cause, au vu de cette année cinématographique catastrophique (pas en termes de qualité), Christopher Nolan et TENET sont attendus comme le messie. Alors que les exploitants de cinéma souffrent du manque de public dans leurs salles et donc de revenus, Nolan est censé apporter une lueur d’espoir.
Avant de ne rentrer plus amplement en détails (d’abord sans spoilers et puis avec spoilers en fin de critique), il faut savoir que le mot Tenet est issu d’un célèbre palindrome latin qui date de l’Antiquité et retrouvé à Pompéi, le carré Sator. Dans ce carré, on y retrouve les mots Sator Arepo Tenet Opera Rotas. Dès l’annonce du projet, de nombreux fans se sont demandés si cela allait être lié au projet de Nolan et la réponse est oui et ce de multiples façons. La première étant la présence dans le film de chacun de ces mots. Tenet est le titre et le nom du Principe du film, la scène d’introduction se déroule dans un Opera, Arepo et Sator sont les noms de deux personnages et Rotas est le nom d’un élément important que nous ne citerons pas ici. Enfin, Pompéi est également cité à une reprise pendant le film afin de rendre la symbolique complète.
La deuxième connexion entre le Carré Sator et le film est évidemment le principe même du palindrome. Tous ces mots peuvent se lire dans tous les sens et tel est le cas de la temporalité dans le film. On y reviendra plus longuement par la suite mais la première question que les fans se posaient trouve ainsi une réponse.
Il est grand temps d’entamer cette critique mais, au vu de la complexité du film, par où commencer ? Le début reste probablement le meilleur moyen pour aborder la nouvelle œuvre du réalisateur d’INCEPTION. Dans TENET, il est question d’une menace de Troisième Guerre Mondiale suite à des manipulations du temps et plus particulièrement à une inversion du temps. Ce n’est pas vraiment un voyage dans le temps, bien qu’évidemment les notions de passé et futur existent aussi, mais c’est par contre vraiment une inversion du temps. Le Protagoniste de l’histoire est chargé d’une mission pour éviter ce cataclysme.
C’est toujours flou ? Pas d’inquiétude, vous comprendrez au fur et à mesure que le film se déroule. Afin de ne pas perdre son public, Nolan a dû s’accrocher à quelque chose que les gens connaissent : les films d’espionnage. Si on fait abstraction de ce concept de temporalité inversée, on peut constater que le film est presque construit comme un roman de John Le Carré tant la plupart des ingrédients d’une histoire d’espionnage, espionnage industriel plus précisément dans le cas de TENET, sont présents.
Les deux paragraphes suivant vous expliquent le principe de la temporalité inversée. Ils ne comportent pas de spoiler à proprement parler car ils sont là plutôt pour aider à visualiser ce dont on parle. Cependant, n’hésitez pas à les passer si vous le désirez.
Ce qui vient chambouler ce schéma d’espionnage, classique aux premiers abords, c’est bien le concept de la temporalité inversée. Cela vient bouleverser les idées classiques que sont le passé, le présent et le futur puisqu’en fonction de l’environnement dans lequel on est, on peut anticiper ou, constater du moins, des événements qui ne se sont pas encore produits. Un impact de balle dans un mur témoigne d’une fusillade à venir, fusillade lors de laquelle les balles vont donc retourner à leur point d’origine à savoir le fusil. Forcément, la temporalité est inversée.
Malgré les différentes explications fournies dans le film, tout n’est pas simple pour autant, car nos esprits cartésiens ont parfois du mal à assimiler, voire disséquer correctement, ce qui se passe à l’écran. En effet, voir certains personnages faire leur action « à l’endroit », normalement donc, et, en même temps, en voir d’autres faire leurs actions « à l’envers », parce qu’ils sont dans la temporalité inversée, est plus que perturbant. Car la subtilité avec le concept de temporalité inversée c’est qu’elle est contemporaine à la temporalité normale. Les deux cohabitent et donnent lieu à des échanges qui interpellent. Si dans les grandes lignes l’histoire n’est pas compliquée à comprendre, dans les détails, la chronologie des événements et leur mise en application peuvent donner lieu à plus de questions que de réponses. Les aspérités sont nombreuses ce qui risque de valoir à TENET de nombreuses critiques et ce qui fait que la complexité générale risque de laisser certains spectateurs sur le carreau.
Comme dans tout bon film d’espionnage, Nolan emmène son Protagoniste aux quatre coins du monde, de Kiev à Bombay en passant par Tallinn, Oslo ou encore Amalfi. Chaque lieu sera le théâtre d’opérations toutes plus spectaculaires les unes que les autres ou de scènes plus classiques de dialogues typiques du genre auquel s’apparente TENET. Il faut saluer la variété des endroits choisis pour plusieurs raisons. Il y a la beauté de la côte amalfitaine, le cachet de l’Inde, la désolation de la Russie et la froideur de la Norvège et de l’Estonie. Bref, un ensemble de lieux magnifiés par l’œil de Christopher Nolan.
Parlons-en de sa mise en scène mais, avant tout, il faut discuter du format. On le sait, le réalisateur de la trilogie de THE DARK KNIGHT ne fait rien comme les autres. Comme pour DUNKERQUE et d’autres de ses précédents films, Nolan a choisi de filmer en Imax. Sur les écrans adaptés, soit le BFI de Londres, le Kinepolis de Bruxelles et le Traumpalast de Leonberg en Allemagne, la majorité du film est donc projetée en ratio d’image 1 :43 (un format plus carré) avec quelques passages en ratio 1 :90 (des scènes de dialogues et ou d’intérieur généralement). En 1 :43, le spectacle est total puisque ce cadre permet d’avoir dans une même image une villa à flanc de falaise, un bout de village en arrière-plan avec également des falaises, du ciel et de la mer. Ça n’a l’air de rien mais ce n’est pas quelque chose que l’on voit souvent au cinéma et le résultat est tout bonnement hallucinant.
Pour ceux qui n’ont pas l’occasion de découvrir le film dans sa version idéale, soit la majorité du public, le film sera projeté en 2 :20 ou bien en 2 :39 des formats classiques qui auront donc une image amputée mais pas d’inquiétude pour autant, le spectacle sera bien au rendez-vous.
On reproche parfois (tant à raison qu’à tort) à Christopher Nolan le manque d’incarnation de ses personnages et de ses scènes. A ce niveau-là, vous pouvez être immédiatement rassuré.e.s. Dès la scène d’ouverture, dans l’opéra de Kiev (qui était d’ailleurs le fameux prologue projeté depuis janvier dernier avant certains films en Imax), on sent toute la maîtrise de Nolan et de son immensément talentueux directeur de la photographie Hoyte Van Hoytema, qui sait si bien implanter la tension et toute l’intensité nécessaire. Les scènes d’action, spectaculaires ou non, sont généreuses mais parfois pas tant que ça. C’est-à-dire que le montage (qui fut certainement laborieux) coupe par moments le plaisir de certaines scènes. On aurait aimé que certaines durent plus longtemps parce qu’elles sont ingénieuses/incroyables et qu’on aimerait en profiter plus. Il aurait été également souhaitable que le film se repose quelques peu après de grosses séquences afin qu’on prenne conscience de leur puissance. Cependant, il faut tout de même saluer le travail de la monteuse, Jennifer Lame. On lui doit les montages des films de Noah Baumbach dont son dernier MARRIAGE STORY ou encore la perle d’Ari Aster, HEREDITE. Nolan a dû la choisir grâce à son talent à assembler des histoires humaines avant tout, ce qui est justement l’un des défauts systémiques de Nolan, on y reviendra d’ailleurs plus bas.
Les comédiens sont entièrement dévoués au film, y mettent toute leur énergie et font honneur à leurs personnages. Les personnages, parlons-en. Les deux plus importants sont ceux interprétés par John David Washington et Robert Pattinson bien entendu. Le premier a le rôle principal, il est le Protagoniste tandis que le second joue Neil, le mystérieux adjuvant qui va l’aider dans sa tâche. On sait peu de choses à leur sujet ce qui peut parfois faire penser à un manque d’incarnation, concernant le Protagoniste notamment mais, la fin du film met en lumière leurs caractères particuliers. Leur duo est probablement l’un des meilleurs du cinéma de Nolan. Il fonctionne du tonnerre et l’alchimie entre les personnages est magnifique. Ce duo devient même un trio une fois qu’entre dans la danse le personnage de Kat, joué par Elizabeth Debicki. Debicki confirme, si besoin était, tout le bien que l’on pense d’elle depuis un moment déjà. Face à eux, Kenneth Branagh incarne un Andreï Sator redoutable grâce à un accent russe plus convaincant que son accent français dans MORT SUR LE NIL. L’un ou l’autre moment voire l’une ou l’autre réplique passe parfois moins bien mais cela n’entache en rien sa prestation qui est impeccable. Autour d’eux gravitent toute une galerie de personnages secondaires tous excellemment interprétés par Aaron Taylor-Johnson, Fiona Dourif, Himesh Patel, Dimple Kapadia et, dans des presque caméos, Clémence Poésy et le légendaire Michael Caine.
Là où le bât blesse un peu, c’est au niveau de l’émotion, autre reproche souvent fait à Nolan (déjà plus à raison). Il y a un manque d’empathie généré notamment parce que le personnage du Protagoniste est mystérieux. C’est un soldat, quelqu’un qui va droit au but et exécute des ordres et, par conséquent, il fait passer peu d’émotions. Les rares moments qui en ont sont plutôt dus au personnage de Kat. Elle est aux prises avec Sator, l’oligarque russe qui désire mettre fin au monde tel qu’on le connait. Un seul autre moment du film connait une intensité émotive très forte lors d’une scène qui permet de bien comprendre les rôles de chacun et est un véritable exutoire, chose on ne peut plus rare dans le cinéma de Nolan.
Avant de conclure cette critique, il faut dire un dernier mot sur la musique. La star montante de la BO, le suédois Ludwig Göransson, remplace le fidèle Hans Zimmer, embarqué sur le DUNE de Denis Villeneuve. Après ses magnifiques compositions pour BLACK PANTHER ou la série THE MANDALORIAN, Göransson se plonge dans quelque chose qui se rapproche plus de ce que fait généralement Zimmer lui-même, voire plutôt de ce qu’a pu faire feu Johann Johannsson. C’est énergique, ingénieux, parfois oppressant. Göransson a su créer une atmosphère musicale idéale qui accompagne à merveille les différentes ambiances sonores qui traversent le film. Quoi qu’il en soit, il confirme tous les espoirs posés sur lui depuis plusieurs années et montre qu’il nous réserve encore de belles surprises dans le futur.
Est-ce que TENET est un grand film ? Oui. Il est cependant moins abouti que les précédents de Nolan et donc plus fragile, à cause de la complexité de son concept principalement qui laisse trop d’aspérités que pour convaincre à 100%. D’ailleurs, après deux visions du film au moment d’écrire ces lignes, j’ai plus de questions que je n’ai eu de réponses suite à ma première vision, c’est dire. Plus je passe au crible certaines séquences ou concept, plus j’ai l’impression que ça ne colle pas. Cependant, le spectacle est total et c’est compliqué de ne pas apprécier un divertissement si audacieux, original et généreux. On aimerait que Nolan soigne encore plus ses enjeux et l’émotion afin de solidifier ses œuvres mais, malgré ses nombreux défauts, TENET se place incontestablement comme une œuvre singulière et, dès lors, essentielle. Le film va diviser encore plus que les précédents de Nolan, qui risque d’ailleurs de perdre une partie de son public mais, n’est-ce pas la marque des œuvres fortes ?
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