Fargo

Fargo

Malgré son excellence, THE HUDSUCKER PROXY avait semé le doute chez certains admirateurs des frères Coen, qui n’appréciaient que maigrement cette incursion inhabituelle dans un univers optimiste à la Frank Capra. Écrit dans le même esprit que BLOOD SIMPLE, FARGO ressemble à une remise en question de ses auteurs. Ils sont revenus aux sources, vers ce mélange de noirceur absolue, de méchanceté et d’absurdité qui baignait leurs premiers films et qui fait de FARGO un nouveau chef-d’oeuvre.

W.C. Fields disait : « Je ne connais rien de drôle qui ne soit pas blessant ou douloureux ». En suivant ce principe, FARGO est trrrès drôle. C’est une perle de misanthropie. Un déchaînement de méchanceté. Un océan de cynisme. Psychologues cruels, les frères Coen décrivent en profondeur la stupidité des personnages sans jamais chercher à faire pitié. Impossible d’en sauver un de la médiocrité générale : Steve Buscemi en gangster nerveux et William Macy en commerçant infantile sont affligeants de nullité. Heureusement, les Coen gardent ce qu’il faut de détachement pour nous permettre encore de rire de cette tragédie humaine (l’histoire est inspirée d’un fait divers réel). Car on rit. Beaucoup. Franchement. Même du plus horrible. Surtout du plus horrible.

« OVNI » qualifie mieux le style Coen. Trop drôle pour être noir. Trop sombre pour être une franche poilade. C’est un genre nouveau, unique: la « comédie ennuyeuse » (boring comedy), comme les frères avaient qualifié BARTON FINK. Mélange déroutant de burlesque frénétique et de retenue cérébrale calculée. Joel et Ethan poussent le slow burn à un extrême rarement imaginé. Chaque gag est construit comme un théorème, aussi long et froid dans son exposé que délirant dans son résultat.

Les frères Coen comptent parmi les réalisateurs les plus rigoureux du cinéma actuel. Il en faut de la maîtrise pour s’exercer avec autant de brio à l’humour noir! De film en film, ils donnent de véritables leçons de dramaturgie cinématographique : synchronisation parfaite du jeu des comédiens et du découpage, étirement du temps, science du décor (la neige omniprésente devient un personnage à part entière), composition millimétrée du cadre et de la lumière, mouvements d’appareils lissés à l’extrême. Malgré cette maîtrise, ils refusent l’intellectualisme : ce sont des cancres, des rigolos. Sophistiqués peut-être, mais des rigolos quand même. Il y a quelque chose de gratuit dans leur démarche, de poilant, qui permet de supporter en riant cette vision des plus noires de l’Amérique profonde.

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